Nous avons emprunté à Éric Holder une phrase de son dernier roman paru : « La Belle n’a pas sommeil »… S’il nous lit de là-haut, qu’il considère cet exercice comme un hommage !
Chaque participant a ensuite poursuivi cette phrase comme il le souhaitait…
Ici, Liliane, Catherine C., Anne-Marie et Églantine nous livrent leurs versions.
Photo : Free photos
(Liliane)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille il me dit : « Tu en veux un coup ? ». Je n’étais pas certain de pouvoir garder les idées claires si je me resservais un verre. Je pensais que nous avions suffisamment bu lors de cette discussion qui semblait enfin close.
Nous n’avions toujours pas défini ce que nous allions faire. Inviter cette fille paumée chez nous ou la laisser se débrouiller seule.
Pour ma part, je ne me sentais pas très « chaud » de l’accueillir. Rompre avec sa solitude, ses habitudes, eh bien, je n’en avais pas tellement envie. Et qui sait ce qu’elle ferait dans la maison : ranger les placards, s’occuper du linge… Jusqu’alors je me débrouillais seul, pas besoin de quelqu’un derrière moi pour me fustiger d’un regard si je faisais « mal » ou pour me houspiller !
Et puis, elle n’était pas seule non plus, il faudrait prendre en compte le polichinelle qu’elle avait dans le tiroir.
Non, décidément, cela ne me convenait guère de jouer les samaritains.
Bon, d’accord, il y aurait aussi Jonas qui pourrait m’aider. Celui-ci, j’arrivais encore à le supporter …
(Catherine C.)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
« Mon dieu, quel horreur ! Cette bouteille est un véritable antidote à l’alcoolisme.
Mais, je vais t’apprendre un truc, ma p’tite fille : une telle piquette, ça peut quand même sauver tes papilles. Eh oui ! Une ou deux fois par mois, tu dois sacrifier ton palais en buvant un verre de Sénéclauze, celui en bouteille plastique, de façon à mettre tes papilles au supplice. Elles souffrent, gémissent, crient grâce mais … elles enregistrent le traumatisme. D’accord ?
Le lendemain, tu peux sortir un bon cru, genre Château Margaux 1996, et tu le dégustes doucement. Tu le fais tourner autour de la langue, tu lui fais faire des aller et retour dans la gorge. Bref, tu prends tout ton temps. Et là, c’est l’explosion en bouche; tes papilles ont tellement souffert qu’elles te remercient et te récompensent.
C’est le p’tit Jésus en culotte de velours ! C’est le feu d’artifice du 14 juillet.
Crois ton arrière-grand-père, ma puce et tu repenseras à moi quand j’serai plus là et que tu boiras du bon vin. »
(Anne-Marie)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue.
Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
«Je bois, oui, je sais, qu’as-tu à dire, rien, comme d’habitude»
Toujours pas de changement dans son attitude.
Est-ce moi, est-ce ma faute ?
Dois-je continuer avec cet ivrogne ?
Me suis-je trompée à ce point ?
Est-ce « nous deux », sommes-nous nocifs ?
J’ai gâché ma vie.
Suis-je responsable, les torts sont-ils partagés ?
N’y-a-t-il rien à faire ?
Comment continuer à vivre ?
L’avenir, quel est-il ?
Je peux m’interroger longtemps.
Suis-je prête à tout abandonner ?
Et mes rêves où sont-ils, qu’en ai-je fait ?
Plus d’issue, j’ai attendu trop longtemps. Plus de concessions.
Je dois agir et non subir.
Fuir, est-ce la solution ?
Prends toi en main, décide, pars ou reste mais bouge-toi.
Sur ces mots, je revois encore mon Jonas se resservir, encore et encore.
Là, son sort est scellé.
(Églantine)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue.
Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
– C’est même pas bon. Il est bouchonné.
– Alors pourquoi tu continues de boire ?
– Parce que c’est une bouteille que je gardais pour les grandes occasions ! Et c’est une grande occasion. Je ne voudrais pas la gâcher !
– Ce n’est pas forcément le terme que j’aurais employé pour désigner cet évènement.
Mais après tout, Jonas a toujours été le plus excentrique de nous deux. Même au point d’appeler la mort de nos parents une « grande occasion ». C’est vrai qu’ils n’ont jamais été tendres avec lui. Ni avec moi. Il lève son verre vide dans ma direction.
– À notre libération !
– Tu es vraiment saoul.
– Toi tu penses être capable de me dire si je suis saoul ou pas ? Ma chère sœur, en plus de trente ans d’existence, je ne t’ai jamais rien vu goûter de plus fort qu’une menthe à l’eau.
– Ça fait trois fois en cinq minutes que tu nettoies tes lunettes. Elles sont propres, c’est juste toi qui vois double.
– Je vais te prouver que je ne le suis pas. Je suis capable de… réciter l’alphabet à l’envers. Z. Y. X. W. V… U… U… mince. C’est quoi après U ?
– Bon dieu Jonas, c’est ridicule. Tu es un adulte, comporte toi comme tel pour une fois.
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue.
Tous ces dialogues nous plongent tout de suite dans des moments de vie authentiques.
Anne-Marie, si ce n’est pas du vécu, cela y ressemble bien…
Je suis épatée par les différentes issues de vos histoires. Merci