Défi "confinés inspirés"

Défi J8 : Dans les chaussures de l’écrivain (4/4)

Suite et fin des aventures de Jonas…
et de sa bouteille !
Voici les textes imaginés par Marie S., Pierre, Alain et Lise.

(Marie S.)

Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue.
Puis, se rapprochant de Solène, et montrant la bouteille : 

– Tu vois, des filles comme toi, je les mettrais toutes sur une île déserte pour qu’elles nous foutent la paix ! J’ fais ce que je veux et avec qui j’veux ma petite dame !!

Solène n’avait jamais vécu avec un homme alcoolique mais elle avait vu les dégâts laissés par ce qu’avait subi sa meilleure amie Claire. Tout lui remontait là, maintenant, avec cet individu qui lui crachait à la figure son mal de vivre mais aussi celui de toute une société, peut-être…

Elle s’était arrêtée dans ce petit café par hasard et voilà qu’elle tombait sur l’ex de son amie ; Jonas l’avait reconnue et s’était invité à sa table…

– Vous, les mecs, vous dites que les femmes sont des « emmerdeuses » et qu’elles ne vous laissent jamais tranquilles. Mais sans la femme, vous ne pourriez pas vivre, vous ne seriez que des petits garçons immatures, sans but dans la vie. Il est bien connu que derrière chaque grand homme, se cache une femme. 
– Foutaises, tout ça ! Je me débrouille tout seul, et je n’ai pas besoin d’une femme pour vivre ma vie. 
– Ce n’est pas ce que je constate, apparemment c’est difficile… Mais je ne discuterai pas plus longtemps avec toi car tu as toujours raison, les autres sont des imbéciles et moi je ne suis qu’une petite emmerdeuse, c’est bien connu ! 
– C’est ça, c’est ça, t’as tout compris ! 

Solène se lève, le regarde et lui sourit, elle ne dit rien car elle sait que cela ne sert à rien.
Elle va régler son café et s’éclipse s’en se retourner. Tout en marchant vers le parking où elle a garé sa voiture, elle songe à Claire qui a tant souffert et à toutes ces femmes qui ont vécu l’enfer. Oui, elle a appris que l’alcoolisme était une maladie, oui elle peut le comprendre mais aujourd’hui elle ne peut juste plus entendre ces hommes qui ont baissé les bras et qui ne veulent pas reconnaître la bonté de ces femmes qui leur ont tendu la main.


L’ami Jonas (Pierre)

Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue.
Sans parler nous sommes assis tous les deux autour de la table de cuisine. 

Comme d’habitude nous prenons le solide casse-croûte de dix heures après notre travail dans les champs pour ramasser les pommes de terre, les haricots, et les petits pois semés il y a quelques mois. Nous irons les vendre jeudi au marché. Ce travail nous fait un mal de chien dans le dos à force de se courber.

Le verre de cet excellent rouge de Jonas est le bienvenu accompagné de la tranche de pâté de lapin étalée sur le pain. Nous finirons cette bouteille sans dire un mot en nous observant du coin de l’œil comme de vieux complices.

Mon copain Jonas est un drôle de zèbre que j’aime bien. C’est un dur au mal qui ne se plaint jamais. Il m’est très reconnaissant de l’avoir accueilli comme demandeur d’emploi il y a une dizaine d’années. Je le revois quand il s’était présenté à la porte de la ferme, un peu dépenaillé avec pour seul viatique un maigre balluchon, des habits et des souliers entièrement couverts de poussière. Jonas était un Rom jeté sur les routes à travers l’Europe. Il avait finalement abouti dans notre village de Gironde après un grand périple. 

Dans la détresse évidente et la fatigue de ce routard j’avais discerné une grande gentillesse. Après une lente réflexion, comme mû par un sixième sens et aussi compte tenu du manque de main d’œuvre dans la région,  j’avais décidé  de l’engager. 

Je l’ai installé rapidement dans le vaste appentis qui me servait jusque là de remise pour tout le matériel de la ferme qui gisait en vrac. Je n’avais rien rangé dans ce bric-à-brac depuis la disparition brutale des parents au début du siècle…

Avec tous les bouts de bois qui traînaient, Jonas s’est rapidement confectionné une petite cuisine, une douche et une chambre qu’il s’empressa de me montrer avec une évidente fierté. Un petit domaine bien à lui après l’errance…

C’est dans cette modeste petite cuisine que nous prenons aujourd’hui notre casse-croûte habituel sans avoir besoin de parler beaucoup. Nous nous comprenons à demi-mot. Le Dimanche, Jonas qui est resté très pieu, assiste à la messe. Il s’est fait des amis parmi les paroissiens et je crois bien qu’il a une touche avec la fille du marchand de journaux. Je constate qu’il revient tout guilleret, à moins que ce soit dû à la chopine du bar-tabac de Maurice.

J’ai oublié d’écrire que mon ami Jonas a un physique particulier. Il est grand et me domine d’une bonne tête. Un corps sec et noueux, les cheveux bruns, les yeux foncés. Son visage est basané comme celui des gens du Sud, barré d’une grosse et épaisse moustache qui le ferait ressembler un peu à Jean Ferrat.

J’ai su à la longue qu’il était né en Roumanie à Candesti, un village dans blotti dans le fin fond des Carpates. 


(Alain)

Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis se rapprochant de moi me montrant la bouteille… 

« Bois un coup, y a pas d’étiquette mais c’est bien du bon Médoc de chez nous, à Queyrac on ne plaisante pas avec la qualité ».

Nous étions installés depuis un bon moment à la terrasse des « Vieux Accacias ». Nous avions déjà parlé de Thierceleux près de Montolivet dans la Brie, où j’ai vécu quelques années.

Le grand problème à résoudre était de savoir si le Médoc était bien le plus adapté des Bordeaux pour faire passer le bon fromage de là-bas !

Jonas m’avait étalé ses connaissances géographiques, en me demandant si c’était un hasard d’avoir quitté Montolivet pour m’installer, maintenant depuis une quinzaine d’années, à proximité de Montalivet (les Bains).

En fait s’il me tenait des propos un peu décousus, je voyais bien qu’il voulait me faire oublier pendant un peu de temps le décès récent de Delphine…


(Lise)

Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue.
Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
« Même leur vin est dégueulasse, j’en ai assez entendu, on y va. »

Ces soirées d’anciens camarades d’école lui sont devenues insupportables. Les entendre se vanter chacun leur tour de leurs vies merveilleuses, de leurs carrières dans des grands groupes cotés en bourse lui donne la nausée à chaque fois. Mais cette fois-ci, c’en est trop. 

Son licenciement il y a 7 ans a vraiment été un coup dur auquel il ne s’était pas préparé. Tout ce pour quoi il s’était battu pendant des années, sa vie rêvée, sa réussite… tout s’est écroulé, brutalement. Il a perdu pieds, a tenté de suivre à nouveau le même chemin, s’est heurté à de nombreux refus. Sa femme l’a quitté. 

Jonas ne regrette rien. Il ne les envie pas. Cet effondrement a été salvateur. Sur le chemin vers la surface, il s’est affranchi du formatage de ses études et a enfin trouvé la force de suivre ses aspirations profondes. Cette ferme, c’est son rêve, notre projet. Nous y consacrons toute notre énergie depuis 3 ans, sans relâche, 7 jours par semaine. 

Ce soir, Jonas est fatigué. Son dos le fait souffrir chaque jour un peu plus. Il n’en parle pas, mais je le sais. Il n’avait pas envie de venir. Quand Mathieu a demandé « Assez parlé de nous, Jonas, t’en es où, quand est-ce que tu reviens dans le monde civilisé ?», déclenchant l’hilarité de tous ses congénères, j’ai vu son regard… 

Je les regarde pour la dernière fois. Ils n’en reviennent pas, tellement habitués à dominer leur monde.

Nous partons. 

La porte fermée, son regard a changé. Il me sourit, libéré.

1 Comment

  1. J’ai particulièrement été touchée par le texte de Pierre, plein de tendresse pour la relation entre ces deux hommes.
    Lise, ton Jonas a fait un choix que certains feront peut-être dans l’avenir pour trouver le bonheur simple…

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