Parfois, une parole, ou une anecdote, issue du passé vous revient en tête comme un boomerang…
Ou bien cette scène reste gravée en vous parce que vous avez appris quelque chose d’important ce jour-là.
Alors, de quoi s’agit-il ? Quelle leçon avez-vous reçue et retenue ?
Monique, Pierre et Saïda nous racontent la leur ici.
Photo : Akil Mazumder
Une bonne leçon (Monique)
Je suis une petite fille assise à la grande tablée familiale : grands-parents, parents, oncle et tante, frères et soeurs. Le repas se termine. Je n’ai plus faim et il me reste du pain. Je m’apprête à le laisser dans mon assiette. Mais là, pépé intervient sentencieusement : « On ne jette jamais de pain ». Pas question de transiger, me voilà donc tenue de manger mon « pain sec ».
De ce fait, j’ai retenu que l’on ne jette jamais de pain.
Si d’aventure il en reste à la maison, je me débrouille pour l’utiliser soit pour des croûtons, soit du pain perdu ou bien j’anticipe et j’en congèle une partie.
Sage habitude en cette période de confinement où nous n’allons pas chez le boulanger tous les jours.
Appréciable aussi à un retour de voyage surtout si justement les habitudes du pays nous ont amenés à manger sans pain.
Nous pouvons nous en passer mais nous sommes plutôt « panivores ». Le pain pour moi c’est la tradition.
Ce sont les tartines que nous faisait mémé au retour de l’école : une tartine de beurre avec du chocolat, une tartine de crème avec des fraises saupoudrées de sucre ! Quel régal !
« Un demi-mort en mangerait » disait-elle (expression que je n’ai comprise que bien plus tard).
Et la tradition perdure avec les petits-enfants. Au petit-déjeuner, une tartine de confiture de fraises. Un petit creux en attendant le repas : « je peux avoir une tartine de beurre s’il-te-plaît mamie? ». Au goûter, une tartine de beurre avec du chocolat râpé au couteau parsemé dessus ou, le summum, une tartine bi-goût moitié beurre chocolat, moitié confiture.
Le pain c’est donc une histoire d’amour dans la famille, peut-être grâce à la bonne leçon de mon grand-père…
La douche froide (Pierre)
J’étais déjà dans la force de l’âge.
Muté depuis peu de temps, j’exerçais mon activité dans un bureau de la Marine nationale au sein d’une caserne en plein centre de Paris dans le 8e. A l’époque c’est là que fonctionnaient des services spécialisés dans des missions comme les travaux immobiliers, les transmissions, l’hydrographie et le commissariat ou aussi l’intendance, mon Corps d’appartenance.
A part le personnel de garde et les gendarmes maritimes, tout le monde portait une tenue civile qui permettait de garder un certain anonymat.
Pour atteindre l’un des huit étages de l’immense bâtiment qui nous faisait face, et rejoindre les différents bureaux, il nous fallait utiliser tous les jours un des trois ascenseurs qui desservaient le centre et les extrémités des deux ailes.
Par commodité je prenais l’ascenseur de gauche et je croisais souvent les mêmes personnes à la même heure qui attendaient comme moi l’ascenseur. Par la force des choses, j’avais pris l’habitude de converser sur le beau temps ou la pluie avec un gars de mon âge qui grimpait au 8e étage pendant que j’arrêtais au 6e. Nous étions devenus des copains.
Ce matin-là, il y avait aussi avec nous cette jolie petite femme que je connaissais déjà de vue. Elle descendait toujours au 4e étage. Sans me regarder une seule fois, elle s’était adressée alors à mon compagnon pour lui raconter ce qui me semblait être un tas de balivernes sans intérêt. Même s’ils devaient sans doute se connaître, j’étais un peu dépité… Pendant tout le trajet de la donzelle je n’avais en effet pas eu le temps de placer le moindre mot.
Quand elle est enfin descendue sans un regard derrière elle, j’ai poussé un gros soupir. En regardant mon nouveau copain j’ai lancé cette phrase assassine :
« Celle-là, elle est petite mais elle a une grande gueule ! »
Alors là le gars m’a regardé et d’un air désolé il me répondit :
« Je sais, je la connais bien, c’est ma femme ! »
C’est comme si le ciel m’était tombé sur la tête. Rouge de honte je n’ai plus ouvert la bouche pendant les deux autres étages.
Pendant plusieurs jours j’ai évité de prendre l’ascenseur de gauche.
Cette bonne douche froide m’avait servi de leçon pour l’avenir.
Désormais j’attache une plus grande attention au comportement des gens avant de leur porter le moindre jugement a priori.
Une leçon de vie… (Saïda)
Un incident, survenue à l’âge de mes huit ans, laisse encore une trace indélébile dans ma vie aujourd’hui. Voici cette histoire :
Nadia, une élève de ma classe a commencé à s’intéresser à mes affaires. Elle se servait dans ma trousse, dans mon cartable. Un jour, elle a décidé de prendre mon cartable. Je suis rentrée chez moi dépouillée. C’était sans compter sur l’œil de lynx de ma mère qui, tout de suite, a remarqué l’absence de mes objets de classe. C’était sans compter non plus sur son obstination et ses questions pour que je parle.
Après avoir menti, j’ai dit la vérité. Le directeur de l’école, mis au courant, nous convoqua dans son bureau, ma mère, la mère de Nadia, Nadia et moi.
Après avoir fait son discours moralisateur, Monsieur Mohamed s’approcha de Nadia et lui donna une gifle avec cette réponse « la prochaine fois, tu feras attention à ne pas rentrer chez toi avec les affaires de tes camarades », ensuite il se planta en face de moi, et je me souviens que je ne le quittais pas des yeux, confiante. Il m’asséna le même sort, une gifle, en me disant « la prochaine fois, tu feras attention à ne pas laisser tes camarades prendre tes affaires ». Je revois ma mère ramasser mes affaires, toiser Monsieur Mohamed de ses yeux verts et crier « ma fille Souad ne remettra plus jamais les pieds dans votre école ». J’étais très contente car je détestais cet établissement. Mon père prit le relais et je fis mon entrée à l’école française du centre-ville d’Agadir, dans la ville nouvelle, comme mes frères.
Dans les situations où obstacles et freins viennent à surgir, je me pose toujours la question de ma part de responsabilité en chacune d’elles. Ce directeur d’école m’a sortie de ma position de victime. Depuis ce jour-là, j’agis en utilisant les obstacles comme des épreuves tremplins, pour accéder à une solution nouvelle. Car dans la position de victime, ces épreuves deviennent des gouffres que l’on pense infranchissables, et nous demeurons parfois dans cette forme de soumission à la souffrance, enfermés dans nos corps, nos pensées et nos émotions du passé.
S’il y a une chose sur laquelle nous avons le pouvoir, c’est bien notre réaction.
Réaction + Action Nouvelle / ou / Réaction + Action du Passé.
Un choix sur notre mieux-être en devenir…
Tout d’abord merci Saïda pour tes commentaires qui font beaucoup de bien.
Tes textes sont puissants également et j’ai particulièrement aimé ta phrase : « J’agis en utilisant les obstacles comme des épreuves tremplins »…
Pierre, en te lisant, souvent je m’imagine regardant un bon film. Cette fois-ci, il s’agissait d’un bon comique !
J’imagine ton malaise dans la situation…
Monique, moi aussi j’ai appris à ne pas jeter le pain ! Si pas recyclé en pain perdu ou chapelure maison, il va aux oiseaux.
Pierre, j’ai bien rigolé de ta mésaventure !
Saïda, tes parents ont été exemplaires je trouve mais surtout c’est ta réaction qui l’est aussi, ne pas se complaire dans le rôle de victime, bravo !