Qu’est-ce la vie et les autres nous apprennent ?
Chaque jour apporte son lot de découvertes et de « leçons » qui façonnent notre vision du monde. Mais lesquelles retenez-vous ?
Voici les « leçons » reçues par Michèle, Alain et Michel.
Photo : Victoria Borodinova
Tuer l’ennui (Michèle)
Quand j’étais enfant, tout était bien programmé dans ma petite vie de petite fille. Je savais exactement, sur une journée, quel était mon emploi du temps.
Mais une fois, un jeudi, ma mère a dû s’absenter pour se rendre à son travail, alors que d’habitude elle se consacrait uniquement à moi. J’en étais désarçonnée, inquiète. Je faisais les cent pas dans la salle à manger, perdue dans mes pensées.
Tout en se préparant, ma mère m’observait :
– Mais qu’est-ce tu as à la fin ?
– Je m’ennuie, je ne sais pas quoi faire…
– Quand on est intelligent, on sait toujours quoi faire.
– Oui, mais à qui je demande ?
– A toi-même ma fille. Excellent exercice. Que faire quand on s’ennuie ?
Je me suis assise dans le fauteuil crapaud, raide. Je n’étais pas contente du tout de savoir que ma promenade au jardin de Levallois était supprimée. Après tout, je n’y étais pour rien moi… En plus de mauvaise humeur, je décidai de ne pas bouger de mon crapaud espérant que ma mère m’aiderait dans ce désœuvrement soudain.
Ma mère, enfin prête à partir, me regarda.
– Bon ça va aller ?
– Je ne le connais même pas.
– Mais qui ?
– Ce nouveau compagnon de jeu : ennui…
Ma mère se mit à rire en m’ébouriffant les cheveux et me claqua deux gros bisous sur les joues.
Quand je fus seule, j’ai déambulé dans toutes les pièces à la recherche de quelque chose qui pouvait, à défaut de m’amuser, me faire passer le temps. Finalement je me suis ruée sur la bibliothèque. Je me suis assise dans le couloir pour me choisir un livre. J’ai passé toute l’après- midi à lire. Le soir ma mère est revenue et m’a demandé ce que j’avais fait. J’ai répondu avec un grand sourire : j’ai lu .
Ma mère était ravie.
Tout en préparant, le repas, elle me questionna sur ma lecture.
– Elle était bien l’histoire ?
– J’ai adoré.. Maintenant, je vais voir la pluie d’une autre façon.
– Oui, je vois ça… C’était quoi ton livre ?
– L’amant de Lady Chatterley !
Quelques année plus tard, devenue à mon tour maman, je fus aussi confrontée à essayer d’expliquer à mon fils aîné que quelquefois, s’ennuyer ce n’était pas si terrible.
– Je ne sais pas quoi faire de ma peau… j’en ai marre…
– Quand on est intelligent, on sait toujours quoi faire.
– Et toi quand tu étais petite, tu faisais quoi quand tu t’ennuyais ?
– Je lisais…
Schaffhouse (Alain)
C’était en juillet 1966, à la veille ou juste après mes seize ans. Avec le « patronage » de Rocheservière (extrême nord Vendée) je participais à mon premier voyage à l’étranger.
Cette expédition était sous la supervision du vicaire dudit bourg. Nous voyagions dans un car Bourmeau, piloté par le patron, lui-même.
Nous étions en fin de parcours après la traversée d’une bonne partie du sud de l’Allemagne, à l’époque la RFA (République Fédérale d’Allemagne).
Avant de revenir sur Colmar en Alsace, nous avons fait un arrêt à Shaffhouse à la frontière de la Suisse et de la Germanie. Cet endroit est très connu pour ses chutes du Rhin (je me retiens pour un jeu de mots, trop facile « sans H »).
Ces chutes pour des gens comme nous, venant d’une région assez plate, étaient impressionnantes.
A cet endroit un objet m’a également marqué. Nous étions juste à côté de l’usine de machines à coudre Bernina, je n’en avais jamais entendu parlé avant… Sur la pelouse, juste devant les locaux de l’entreprise il y avait une gigantesque machine, symbole de ce qui s’y construisait.
Nous étions devant les boutiques de souvenirs, j’ai repéré un couteau à plusieurs lames, avec sur le manche une représentation des Chutes. Par défi j’en ai piqué un ! Tout fier de mon coup je suis allé le montrer à des camarades de voyage, en précisant comment je l’avais eu.
Et là, aussitôt, j’ai pris un magnifique coup de pied au c.. par « Françou », un jeune un peu plus âgé que moi, qui m’a dit : « Tu vas le remettre tout de suite en place ». J’avais aussi peur de me faire repérer en le remettant qu’au moment où je l’avais « volé » …
Au cours de ce même voyage, en soirée, sous le petit chapiteau extérieur d’un Gasthaus (café/auberge) j’avais récupéré, également par défi, une chope d’un litre, en grès, floquée du nom d’une brasserie locale. Je l’ai toujours…
La réaction de Françou m’a servi de leçon. J’ai arrêté immédiatement ma carrière, débutante, de larron… (référence inconsciente à JC, en toute fin de carrière ?)
(Michel)
D’un clic sur le clavier du jour
J’ai remonté le temps
Monté le son.
Remontant le fil de la mémoire
Libérée du plomb et des barbelés
Je n’ai pas rencontré de leçon péremptoire
De celle qui s’ impose une vie du rang
De celle qui repose sur la couture du pantalon
Et ne supporte pas le doigt mouillé.
D’aussi loin que je me souvienne
Je n’ai pas la mémoire de leçon
Apprise sur un coin d’un poêle
Du bon sens ou de table
Je n’ai pas la mémoire
D’une leçon brandie comme une arme
Tendue comme les toiles de drapeau
Qui recouvrent la nuit
Et que ma mémoire éteint
Je n’ai tiré ni leçon ni rideau
J’ai pris la révérence, du champ
Le contrepied des capes
J’ai tiré le portrait d’un souvenir antique
Il habite un livre suranné
Qui revendique en sépia
Il a le gout d’un mistral gagnant
Et des odeurs acidulées.
Du temps que je vous livre
C’est « la leçon de choses ».
D’aussi loin que je revienne
C’est la « leçon de choses »
Qui traverse les écrans hors les clous.
Elle dessine concret
Et parle abstrait
A ma tête posée
Sur les pôles nord et sud.
A tout vent d’est en ouest
La « leçon des choses » m’a guéri
Des encres jetée au visages
Ecorchés de lettres qui font les maux
Mais peut-être n’ai-je plus de mémoires
Le vélo de ma tête dans les nuages
Tourne en dérision en plaisanterie
Arpente les trous de ma mémoire.
Et la « leçon de choses »
Revenu du diable et des faux vers
Concrètement
Lève un doigt de vin
Appelle les mots
Epèlent au calme
A la grève et en rêve.