Défi "confinés inspirés"

Défi J18 : Une (bonne ?) leçon (3/3)

Suite et fin des « leçons » de vie qui laissent une trace indélébile dans notre esprit. 
En quoi ce qu’on découvre un jour peut-il modifier pour toujours notre comportement ? 
Lisez les textes de Denis, Marie S. et Lise !

Photo : Jatuphon Buraphon


La leçon (Denis)

Les circonstances sont maintenant très floues dans ma mémoire. Je devais avoir six ou sept ans et un jour, la chose n’était pas courante, je discutais avec ma grand-mère paternelle. Elle m’interrogeait sur mes envies pour l’avenir, quel métier il me plairait d’exercer quand je serais grand. Fier intérieurement mais honteux d’avoir à le dire, je lui ai répondu : « je voudrais être marchand de frites », ajoutant aussitôt : « c’est idiot comme métier, n’est-ce-pas ? ». Elle leva alors son regard vers moi, attendit quelques secondes pour m’asséner cette sentence que je n’ai jamais pu oublier : « il n’y a pas de sot métier, il n’y a que des sots pour les exercer ! ».

Quelle était la signification réelle de cette double affirmation ? Elle n’a jamais développé sa pensée, elle ne m’a jamais expliqué. Elle m’a laissé essayer de comprendre, interpréter son message et, aujourd’hui encore, une soixantaine d’années plus tard, je ne suis toujours pas certain d’avoir compris.

 Toutes mes envies ultérieures se sont heurtées à cette réflexion, quand j’ai voulu devenir footballeur professionnel, quand j’ai ambitionné de faire les études nécessaires pour être qualifié comme pilote de ligne puis quand j’ai débuté ma carrière en entreprise en qualité de financier. A chaque fois, je suis resté bloqué face à un mur, celui de l’absurdité de cette phrase à la formulation inélégante et toujours incompréhensible.

En désespoir de cause, je lui ai trouvé un sens après l’avoir reformulée et après m’être forgé une conviction. Réécrite ainsi : « il n’est point de sot métier, il n’est de sot que celui qui travaille ! », la phrase aurait pu sortir de la bouche d’un aristocrate désœuvré, courtisan de l’Ancien Régime, puis être oralement transmise, déformée, à sa descendance. Il m’est alors apparu comme une évidence que ma grand-mère était issue d’une longue lignée prérévolutionnaire glorieuse, ou qui se croyait telle.


Chère Angélique, (Marie S.)

Chère Angélique,

C’est en repensant à nos jeunes années d’amitié que je ressens le besoin de te remercier pour cette leçon de vie que tu m’as donnée un jour, du haut de tes 10 ans.

Tu vivais au sein d’une famille « parfaite », à mes yeux de petite fille issue d’un milieu pauvre en tout. Tu étais fille unique, ton papa était contremaître et ta maman professeure dans un collège. Tu habitais l’une des plus belles maisons de notre quartier ; en somme, tu avais toute la panoplie de rêve.

Je n’étais pas jalouse mais parfois envieuse, ou plutôt émerveillée par tout ce qui t’entourait et surtout j’avais le privilège d’être ta meilleure amie. Ce n’était pas rien que de t’entendre le dire à tous nos camarades de classe. Nous étions devenues un petit couple fusionnel, chaque jour il était vital de nous retrouver, soit dans la même classe, soit dans ta jolie maison. Nous avions tant et tant de jeux à explorer qu’il nous était douloureux de nous séparer le soir venu.

Parmi nos activités favorites, il en était une que j’affectionnais particulièrement : celle du tri de tous tes bijoux. Et j’étais même une spécialiste des réparations en tous genres. Tu m’observais assise sur ton lit tandis que je redonnais vie à ta petite chaînette brisée.

Puis un jour, je ne sais pas ce qui m’a pris, je t’ai dérobé un petit bracelet qui était désespérément abandonné au fond de ton coffre à bijoux ; tu me disais que tu ne l’aimais pas beaucoup.

Un mercredi après-midi, alors que je vins sonner à ta porte, tu m’accueillis avec une mine sévère, tu m’interdis même d’aller saluer ta maman en cuisine comme à mon habitude. Je fus priée de te rejoindre dans ta chambre. Porte fermée à double tour, tu m’annonças que l’heure était grave, que tu avais été trahie par ta meilleure amie et que ton cœur était brisé. A ce moment, je compris tout de suite de quoi il s’agissait : tu avais découvert mon larcin ! A la question « Est-ce toi qui m’a volé mon bracelet ? » je te répondis honteusement : OUI…  Des larmes perlèrent au coin de tes yeux tandis que ton regard me lançait toute ta tristesse et ta déception en pleine figure. Tu n’eus pas besoin de me faire de longs discours, tu m’expliquas seulement qu’en amitié la confiance était capitale et que le vol n’était pas acceptable. Quelle honte ! 

La colère m’envahit, celle d’avoir succombé au désir d’obtenir un « pauvre » bracelet abandonné au fond d’une boîte. Puis la peur s’empara de moi, j’allais perdre ma meilleure amie, là, tout de suite, pour la vie !

Ce jour-là, je compris toute l’importance de l’honnêteté en amitié. C’est pour cela qu’aujourd’hui, Angélique, je te remercie pour cette belle leçon de vie.


(Lise)

Début 2007, j’ai 22 ans. Je termine des études en école de commerce. Je n’ai jamais vraiment trouvé ma place dans ces études. Ni parmi les étudiants, ni parmi les matières qui nous étaient enseignées, ni parmi la palette des métiers et des entreprises que l’on nous faisait miroiter. J’ai passé 4 années agréables, entourée d’étudiants qui me ressemblaient. Je me suis investie dans des activités associatives, dans le sport et dans des amitiés durables, centrales, indispensables.

Pour finaliser mon cursus et obtenir mon diplôme, je fais un stage dans un grand groupe, dans une tour de la Défense. Mes précédents stages n’ont suscité que peu d’enthousiasme et surtout pas de vocation. J’aborde celui-ci sceptique, inquiète de ne pas trouver ma place dans le monde du travail non plus. Pourtant, le sujet du stage m’intéresse vraiment, et m’a fait me détourner de l’autoroute des cabinets de conseil qui s’ouvre à nous à la sortie de ce type d’études.

Le RER bondé, cette grande tour de La Défense, mon badge, la queue aux ascenseurs, les affiches « corporate » dans les couloirs, le restaurant d’entreprise… tout m’inquiète. Dans cette jungle moderne où je fais mes premiers pas, je fais une rencontre qui va changer mon horizon professionnel : Françoise, approchant la cinquantaine, un regard doux, un sourire malicieux ,et un accent marseillais qui chante et détonne dans cet environnement lisse. Ma maître de stage. Mon phare pour les 6 prochains mois et au-delà. 

Françoise m’impressionne. Après une carrière en gestion de projets dans l’informatique, elle a choisi de porter des projets au service des autres. En l’occurrence au service d’étudiants issus de quartiers défavorisés. Cette petite bonne femme et son bâton de pèlerin ont réussi un tour de force avec le projet qu’elle porte et forcé le respect de tous. Françoise est une personne simple, joyeuse, soucieuse des autres, organisée et très investie… Semaine après semaine, je l’observe, j’apprends et pour la première fois sur mon court parcours professionnel, je rencontre quelqu’un à qui j’ai envie de ressembler plus tard, une personne qui me donne envie de construire mon parcours.

Je me dis alors que j’ai beaucoup de choses à apprendre. Nous avons survolé la gestion de projets pendant mes études (et le peu que nous avons survolé ne m’a pas plu du tout…), je me sens totalement inculte en la matière. Pour moi, Françoise est sur son piédestal, une espèce d’idéal inatteignable. Un jour, je l’interroge plus précisément sur son parcours. Je ne me souviens plus les détails de notre conversation, mais je sais que je cherchais à comprendre comment elle faisait pour que tout se passe toujours aussi bien dans ce projet, peut-être que je cherchais une recette miracle ? Et je me souviendrai toujours de sa réponse, qui en effet relevait de la recette miracle : « C’est que du bon sens ». Simple. Basique. Accessible.

Je me suis spécialisée dans la gestion de projets. Après 3 années à travailler avec Françoise sur des sujets d’égalité des chances, je me suis dirigée vers l’informatique. Comme elle. 12 ans après, je me dis que j’ai trouvé ma place et j’arrive à me projeter dans un avenir professionnel. J’aime mon sujet, j’aime en parler et je l’enseigne depuis plusieurs années à l’université. Et lorsque je rencontre une classe pour la première fois, je leurs dis toujours qu’avant tout « C’est que du bon sens. ». 

1 Comment

  1. Marie, je suis émue et profondément touchée par ton humilité à raconter cette histoire avec une aisance puissante…. merci pour cette belle leçon de vie

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