À force de nous voir tourner en rond dans nos intérieurs, voilà que nos objets nous parlent…
Perspicaces ou moqueuses, leurs considérations sur nos comportements en disent long sur nos journées confinées.
Églantine, Pierre et Saïda leur donnent la parole ici.
Le miroir
(Églantine)
Je vois ton sourire plus souvent en ce moment, et c’est tant mieux. Tu semblais si déçue de ce que tu voyais en moi avant, et maintenant tu restes là, à m’observer, enfin, à t’observer, avec ce sourire satisfait.
Pourtant tu n’as pas changé d’un poil.
Tu ne t’es pas mise au sport, tu ne t’es pas prise de passion pour le maquillage ni n’as changé de coupe de cheveux (ce n’est pas comme si tu pouvais faire grand-chose avec ces derniers me diras-tu).
J’en conclus donc que c’est dans ta tête que quelque chose a changé.
Parfait, ça veut dire que tu as enfin compris le problème.
Ce n’était ni ton grand nez, ni ta mâchoire trop petite, ni tes épaules un peu voûtées, mais l’attention que tu leur portais, et les heures que tu passais à imaginer que tu serais bien mieux si tu pouvais les changer. Combien de fois t’ai-je dit de ne pas les regarder, de te concentrer à la place sur tes dents bien alignées, ta peau nette ou ton corps plutôt bien équilibré ?
Mais tu as fait mieux que ça.
C’était plutôt soudain, et je dois dire que ça m’a surpris. Toi aussi, j’ai l’impression.
Presque du jour au lendemain, ton regard sur tes imperfections a changé. Tout à coup, tu ne les détestais plus. Tu as fait mieux qu’apprendre à les ignorer, tu as appris à les aimer.
Je le vois dans le sourire que tu leur adresses, et dans celui que tu te lances à toi-même.
Je vois dans tes yeux que tu me mets au défi de te les rappeler, ces imperfections, ces défauts de fabrication.
Ce n’est pas mon rôle, je ne suis là que pour te présenter ton reflet.
Celui qui te suit depuis bientôt 20 ans.
Je suis heureux de voir qu’après toutes ces années, tu es enfin parvenue à t’en faire un ami.
L’objet familier
(Pierre)
Je t’attends patiemment dans le bureau où tu m’as arrêté hier soir sans un mot et même sans un regard.
Tu paraissais fatigué.
Je t’ai excusé bien volontiers, comme toujours d’ailleurs, sans un cri, sans aucune scène de ménage. Connais-tu une autre personne dans ce bas monde qui aurait cette patience infinie avec toi ?…
Depuis un mois, j’ai bien vu que quelque chose avait changé dans ton comportement.
Tu viens de bonne heure me consulter et lire les e-mails que t’envoient les amis, les enfants, ton frère ou ta sœur. Parfois je te vois même rire aux éclats devant moi. C’est sans doute une blague ou un bêtisier qui circule par ci par là pour aider à tromper la pénibilité du confinement.
Je me suis aperçu que tu attendais avec hâte et une certaine perplexité le courrier de Julie ta « coachette » en écriture.
Tu parais soulagé quand tu connais le thème du nouveau devoir. Tu l’imprimes sur ma cousine germaine l’imprimante et ensuite je te vois lire et relire le sujet afin de rester dans les clous. Un long moment immobile la tête entre les mains, un peu songeur, je t’entends marmonner des bouts de phrases inintelligibles comme des bruits de borborygmes.
Et quand je crois que tu vas enfin empoigner mon clavier qui attend, tu files subitement dans la cuisine avaler un deuxième bol de café noir !
Un peu dépité, j’admets toutefois que tu veux encore mûrir ta rédaction. Il faut en effet que tu évites les fautes, omissions ou les répétitions inutiles avant de m’obliger à les transmettre.
Pourquoi cette précipitation qui m’agace au plus haut point ?
Pourtant tu parais moins nerveux qu’à l’accoutumée, moins pressé aussi d’accomplir les devoirs du quotidien.
Je préfère que tu prennes le temps de savourer chaque heure qui passe avec moi ou ton épouse. Je t’ai vu souvent te tromper dans l’excitation du moment et être obligé de tout recommencer.
Je n’aime pas du tout quand tu m’utilises pour écrire des choses terribles et méchantes sous l’emprise de la colère.
D’ailleurs tu as dû t’apercevoir de mon appréhension. Car dans ces moments de tension je m’arrange pour me mettre dans ce que tu appelles curieusement « un bug ».
Le délai de la reconnexion est profitable à chacun de nous : ta colère est maintenant calmée et de mon côté je respire un peu mieux car tu frappes moins fort avec tes doigts crispés.
Péché mignon
(Saïda)
Quelle douceur ! Quelle chaleur ! Quel amour !
Comment ne pas fondre de plaisir devant autant d’attentions et d’intentions…!
Le temps se fige et ton désir est palpable. Je sens ta raison se battre contre ta folie. Lorsque cette dernière l’emporte, alors tu craques et moi j’abdique. Je m’incline devant toi, devant tous tes sens en éveil.
Tu me caresses avec tes yeux avant de m’enfermer dans ta cavité humide et chaude truffée de récepteurs sensoriels.
J’y tournoie exécutant des courbes selon tes envies de l’instant. Tu me déshabilles avec une patience vigoureuse jusqu’à me mettre à nu. Ensuite tu me croques avec délectation. Le vertige s’empare de nos êtres formant une danse passionnée. La mission pour laquelle je suis destinée est accomplie. Tu te détends. Tes tensions sont oubliées.
J’observe pourtant un changement dans ton comportement depuis le confinement. C’est la fréquence avec laquelle tu me rends visite. Tu deviens de plus en plus gourmande et ce n’est pas un carré de moi que tu savoures mais plusieurs.
Je suis bien sûr ta tablette de chocolat préférée, fourrée aux noisettes et aux amandes grillées.