Qu’y a-t-il de commun entre un crâne, une cafetière et une canne ?
Oui, tous commencent par un « c », mais surtout, voici des objets, tout près de nous, qui en savent beaucoup sur leurs propriétaires.
Découvrez les textes de Françoise St. – G., Alain, Michel et Margaux.
Photo : Engin Akyurt
Le bâton de marche
(Françoise St. – G.)
Lui : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »
Moi : Hein ! Qui me parle ?
– Psitt ! par ici… C’est moi… ton bâton de marche.
– Oups ! Non seulement les bâtons de marche s’expriment en langage clair, chez moi, mais en plus, ils déclament du Lamartine. Ce confinement prolongé me joue des tours. J’hallucine !
– Comment faire autrement que d’engager la conversation ? Tu me délaisses depuis plusieurs semaines.
– Tu as l’esprit à poéter, toi ? Moi, je m’ennuiiiiie…
– L’ennui ne prend que dans un esprit et dans un cœur vide.
– Vide toi-même !
– Mignonne, allons voir si la rose…
– Ça va Ronsard ! Il y a un moment que la rose est éclose et même fanée. Tu as vu ma tête, sans coiffeur ni esthéticienne, pour faire des miracles !
– On devient vieux que lorsqu’on renonce à être jeune.
– …
– Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers…
– Les sentiers, les sentiers ! Et j’écris quoi, sur l’attestation : Balade avec Arthur !
– La vie c’est plus marrant, c’est moins désespérant, en chantant.
– Si tu as le cœur à chanter, moi, je l’ai à pleurer ! J’ai le blues, le bourdon, le cafard, la sinistrose… le spleen, comme dirait Baudelaire.
– Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit.
– Exactement, Charles ! Je n’ai plus envie de m’habiller, de prendre mon sac à dos et de partir en balade.
– Ballade ou balade, peu importe. Les deux sont bonnes pour le moral.
– Pfut ! Je crois que je n’aurai plus la force de marcher dans la campagne ni de chanter d’ailleurs alors, ballade ou balade, ça me fait une belle jambe !
– Viens je t’emmène avec moi, en balaaade. Tu laisses tout on s’en va, en balaaade.
– Tu connais aussi Michel Fugain ?
– Ouaip !
– Moi, aujourd’hui, je n’ai pas envie de chanter et puis je me suis cassé la voix à pleurer ce matin, sur moi, ma solitude et mon ennui.
– Prends au moins un livre… Une lecture amusante est aussi utile à la santé que l’exercice du corps.
– Si tu cites Emmanuel… Kant… alors moi, je rends mon tablier et je vais me coucher !
– L’humour renforce notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit.
– Mais où tu vas chercher tout ça, toi ? Tu pètes la forme pour un bâton de marche, relégué au garage.
– Mais… je suis toi ! C’est ton stylo qui cite, ce n’est pas moi !
– …
– Allez, courage ! Si tu uses de prosopopée aujourd’hui, c’est que tout n’est pas perdu. Une étincelle d’humour brille encore au fond de ton âme.
– (Soupir…)
– Emmène-moi en balade le long des quais ou en forêt…
– Bon, je vais faire un effort pour Slimane… Une petite heure en forêt. Je prends une attestation et en route mon bâton chanteur-poète-philosophe !
– Yes !!!
– Viens je t’emmène avec moi en balade. Tu laisses tout on s’en va en balaaade. Viens, viens, viens avec moi, en balaaade. On laisse tout on s’en va !
Crâne
(Alain)
J’ai une petite collection de « crânes » de différentes tailles : le plus petit est sur la pièce souvenir de l’École de Médecine de Rochefort ; le plus volumineux, pour le moment, une tirelire.
Ce crâne est placé sur la partie droite de mon bureau, où je passe beaucoup de temps chaque jour. Il est décoré de dessins un peu psychédéliques. Ses orbites noires me regardent
J’ai l’impression qu’il m’observe et m’invite à le rejoindre. Est-ce un bien ou un mal ? Cela ne me fait ni chaud ni froid, je ne suis pas pressé…
Il doit croire que cette période de Covid va augmenter son pouvoir sur moi.
Je n’ai pas de photos sur mon bureau. Les seules que j’ai à proximité immédiate, sont une de Catherine, une autre avec mes filles. Elles sont dans des niches de la bibliothèque. Je dois tourner la tête de quatre-vingt-dix degrés, vers la droite pour les regarder.
Je ne crois pas être morbide… ? Dans l’humour j’apprécie, entre autres, le noir. Cette forme d’humour est partagée par assez peu de gens.
En cette matière, on trouve peu de personnes sur la même longueur d’ondes que soi…
La canne
(Michel)
Au départ du grand père,
Sur l’étagère enfouie
Des souvenirs qui ne l’étaient pas moins.
De fond en combles obscurs,
Des objets incongrus
Pour la vie de l’ancêtre connue
« re- pausaient » depuis bien longtemps.
Piqués de vers et de rouille
Deux fleurets avaient la garde en huit
Le vague à lame.
Plus loin
Quelques outils pour fendeur
Entachés de sueur
Et de débit de boisson
dormaient sur le dos
Le travail au repos.
Le corps plus loin
Suspendue au silence et clou séculaires,
Tendue sur les toiles filantes,
Elle se perdait sur un mur de poussière
Sure de ses usages et de son apparence
Dans un coude de noisetier,
Prête à redresser les tors et le poids des ans.
La canne modeste aux bois raisonnés,
Musette en bandoulière,
D’un coup s’est fait legs et don de sang.
Pendant de nombreuses années elle embarqua
Depuis le quai de mes pores nocturnes
Mes souvenirs et mes rêves
c’était d’ailleurs les mêmes.
Vertiges et vestiges !
Nuitamment
Le corps droit comme une évidence
Et la crosse courbée
Elle racontait dans son silence
l’épois d’école et des ans
le poids des histoires vécues
Celui des motions de grève parfois sauvage,
Les châteaux de sable ou d’Espagne
Le poids des eaux et des rancœurs trop lourdes
Elle m’a aussi parlé de ses aïeuls
Bâton et bourdons
Au cou parfois rogné
Parfois tordu ou dénudé.
D’emblée la canne du grand-père
M’a fait aimer ses consœurs et compagnes,
Modestes et artisanales dans le coude d’un noisetier,
Fleuries, ornées de serpent ou d’artifices,
Riches d’ores et des gars servis,
Riches d’apparat ou de porcelaine,
Elle m’a fait aimer ses consœurs et compagnes
Jusqu’à l’espoir de posséder l’une d’elle
Pour le style : ses meubles et ses clauses,
Alors qu’elles sont l’image des fêtes du temps qui passe.
Objets magiques
(Margaux)
La cafetière… oui j’aime bien entendre le bruit de l’écoulement de mon breuvage miracle et sentir son arôme délicieux. J’adore, même ! Grâce à elle j’ai pu tenir le coup lorsque je faisais des nuits au travail. C’est mon amie, elle me dope, me donne de l’énergie.
Le matin, je suis amorphe, sans doute décalée, il me faut un certain temps pour que les neurones se remettent en place et reconnectent la machine. Je suis souvent dans le « coltard » le matin. Grâce à mon café tout se remet en place comme par magie et mon petit déjeuner est mon meilleur repas de la journée.
Il y a aussi une autre chose que j’aime bien, c’est ma couverture. Elle est de couleur rouge, en velours, bordée de fourrure blanche : un peu comme le Père Noël. C’est comme un doudou. Je l’adore, je suis bien dedans bien au chaud. Elle me réchauffe et m’apporte du baume au cœur. D’une texture très douce, je m’enveloppe dedans et je suis à l’abri comme lorsque j’étais petite et que ma maman me couvrait pour me protéger du froid.
Elle me fait oublier l’humidité. Je l’emmène partout. Sur mon canapé où je m’étends de tout mon long avec le ronron de mon chat sur le ventre. Sur mon lit, enveloppée dedans pour lire en toute tranquillité ou sur mon transat quand il fait un peu de vent.
Elle m’apporte de la chaleur, de la douceur, du bien-être, de la sérénité.
Je me sens bien avec elle…