De nouvelles variations autour de la phrase tirée du roman d’Éric Holder.
Une bouteille de vin et… l’imagination s’embrase !
Lisez les textes de Joëlle, Denis et Michèle.
Photo : Art Tower
(Joëlle)
Silence, pas un mot de la part de Jonas qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait fait claquer sa langue.
Puis se rapprochant de moi et montrant la bouteille…
– Tu vois ! Eugénie… Elle, elle me comprend ! Elle sait mes peines et mes faiblesses, elle m’est fidèle, c’est le sang dans mes veines !
Tous les jours elle me donne la force de vivre, d’aller aux champs, travailler la vigne.
Elle a un goût sucré, elle n’a pas le goût du malheur !
Jonas tient la bouteille avec ses deux mains, ses doigts gros, ses ongles sales. Puis il se redresse et crie :
– Elle est rouge écarlate, tu es pâle et laide, elle m’apporte la joie et le rire, tu m’apportes la tristesse infinie.
Tu… tu vois… Eugénie … c’est elle que j’aime, elle me tient chaud au cœur même quand il gèle à pierre fendre !
Tu vois…Eugénie…tu vois, tu sais…
Il se lève, se rassoit, se lève encore et s’écroule à terre.
Ce soir encore Eugénie le mettra au lit…
(Denis)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille : « tu en partages une autre ? Ce serait dommage de ne pas profiter de ces bonnes choses produites dans la région ! ».
Le message était clair : Jonas voulait se faire offrir une deuxième bouteille de son vin préféré et pour y parvenir il était prêt à m’en concéder un demi verre. Je n’avais aucune raison de lui refuser. Je connaissais bien sa propension à boire un peu trop, un peu plus que de raison. Il n’aurait pas à reprendre le volant pour rentrer chez lui, sa femme devant passer le chercher en fin d’après-midi.
Sur un signe de ma part, le serveur comprit sans peine ma commande et une petite sœur toute neuve et fraichement débouchée vint remplacer, sur notre table installée en bonne place sur la terrasse du restaurant du golf, la bouteille de Saint-Emilion qui, si rapidement vide, faisait tant peine à voir. Le sourire de Jonas était radieux, plus encore que lorsque, deux heures plus tôt, il m’avait taquiné après avoir rentré sa balle pour un birdie improbable par l’effet d’une approche prétendument roulée, exécutée avec un fer 7. Un coup de voleur… ! Lui seul pouvait avoir une telle réussite, une telle chance dans ce jeu injuste. Grâce à ce coup sur le trou numéro 12, il m’avait battu, de peu mais battu, alors il était normal que je lui offre un verre à l’issue de notre parcours amical commun. Le verre de l’amitié s’était transformé en une bouteille entière qui en suivait une autre déjà vidée pour étancher une soif compréhensible après quatre heures d’effort, de marche et de concentration sous le soleil chaud et puissant de cette journée d’été. Le breuvage n’était pas idéal pour se désaltérer sainement, mais il avait ce pouvoir désinhibiteur qui permit à Jonas de me raconter tous les coups de sa partie.
Ainsi sont les golfeurs ! Ils sont intarissables pour raconter leurs prétendus exploits, à enjoliver l’histoire jusqu’à l’extrême, jusqu’à faire croire à tout public non-averti, que si la malchance ne les avait pas accablés, ils auraient battu Tiger Woods alors au sommet de son art. Cette histoire, tant de fois répétée et entendue, valait bien une bouteille de vin offerte à mon ami Jonas.
Je coule comme un bon vin quand tu n’es pas là (Michèle)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
– Tu vois, me dit-il, cette bouteille, je vais la garder comme un souvenir doux-amer.
– Pourquoi ? C’est du vin. C’est vrai, il est bon. Mais pas non plus exceptionnel.
– C’est bien pour cela… il a le goût de la vie…de ma vie.
– Tu crois pas que tu exagères un peu…
Jonas, hausse les épaules. Plonge son regard sur l’étiquette qui représente les côteaux de vigne et une maison au fond. Doucement, il passe sa main, puis de son doigt dessine le contour de cette bâtisse bien plantée, rassurante comme on en fait dans le bordelais.
– Tu vois, si je n’avais pas fait le con, je devrais avoir une maison comme celle-là, bourgeoise, qui demande le respect…Et ma femme serait là…
– Sauf qu’autrefois, n’oublie pas quand même comment les fortunes se construisaient, surtout à Bordeaux !
– Mais bordel, regarde autour de moi. J’ai une bicoque, des livres qui sont là, on se demande encore pourquoi ils sont là.
– Ce sont peut-être les gardiens de tes rêves.
– Où, pour me rappeler que je suis un écrivain raté…
– T’es pénible, ce vin rouge te monte à la tête. C’est toujours la même rengaine avec toi. Au lieu de trop boire, va dormir, tu dérailles !
Jonas regarde son ami. Il est bien habillé, bien rasé, bien coiffé, un visage en paix. Tout le contraire de lui. Dans un mouvement, brusque, Jonas se lève, tourne le dos à son ami et va ouvrir la porte. Le soleil lui fait plisser les yeux embués de larmes. Il devine au loin, une forme féminine, gracieuse. Il tend ses deux bras pour l’enlacer et l’appelle doucement…Viens mon ange, viens.. je suis si malheureux sans toi… je t’en supplie, viens… sauve-moi… je n’en peux plus.
le vin amical et sportif de Denis, le vin plaintif et envieux de Michelle ainsi le vin comparé à cette dame, Joëlle m’a fait froid dans le dos. j’adore