De nouvelles variations autour de la phrase tirée du roman d’Éric Holder.
Toujours cette fameuse de vin et puis… Jonas !
Ici, les textes de Marie-Louise, Christian, Margaux et Saïda.
Photo : Jill Wellington
(Marie-Louise)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue.
Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
– Pas mauvaise cette piquette !, dit Jonas en me regardant du coin de l’œil. Tu trinques avec moi chérie ? Ca va te remettre un peu « de plomb dans la cervelle » !
J’attrape nerveusement le verre qu’il me tend, le regard lourd de reproches, impatiente de savoir ce qu’il en pense.
C’est alors qu’il me dit :
– L’année dernière t’as voulu voir Vierzon et on a vu Vierzon, puis t’as voulu voir Honfleur et on a vu Honfleur ! Comme toujours ! Alors aujourd’hui c’est moi qui décide, dit-il sur un ton autoritaire presqu’en hurlant. Cette année tu veux aller à Capri ? C’est, bien sûr, la ville de nos premiers amours mais tu vois Cécile, je préfère aller à Toulouse, ô Toulouse, ô mon pays aux briques rouges, ô ma Cité gascogne !
Je reste « comme deux ronds de flan » ! Je pose alors délicatement mon verre pour ne pas trahir mon énervement, puis je m’approche de lui, attrape doucement ses mains, malicieuse que je suis car je sais comment m’y prendre pour avoir « gain de cause » et je lui dis tout doucement :
– D’accord, Capri c’est fini mais Toulouse tu vois, je ne veux pas aller voir ta mère alors pourquoi ne pas aller plutôt sur le port d’Amsterdam là où y a des marins qui chantent, toi qui aime tant la musique ? Ou mieux encore, je suis sûre que tu adorerais Tunis et son café des délices ? Qu’en penses-tu ?, dis-je d’un air détaché.
– J’en pense, j’en pense que c’est trop loin tout ça, dit Jonas se servant à nouveau une rasade de l’horrible piquette.
Puis il se détourne, « fait les cent pas » dans la pièce, réfléchit un long moment, tandis que je m’assois sur le sofa offrant mes jambes nues à son regard, ce qui n’a hélas pas l’effet escompté !
– Ecoute Cécile !, dit-il. J’ai une idée qui va te plaire et nous mettre d’accord tous les deux « j’en mettrais ma main à couper ! »
– Dis-voir !
– Et si nous allions voir les filles de La rochelle qui, dit-on, ont armé un bâtiment pour aller faire la course dedans les iles du Levant ?
D’un bond je me relève :
– Tope là ! Génial ! Je savais qu’on pourrait se mettre d’accord, chaton ! Nous pourrons aussi aller voir les demoiselles de Rochefort et aussi aller à la pêche aux moules, moules, moules… si les gens de la ville me rendent mon panier !!!
(Christian)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
– Tiens c’est à vous c’est comme ça qu’on accueille les gens ici.
– Mais je ne peux pas, je ne suis pas habitué.
– Allez essayez, vous allez vous y faire. La prochaine fois je vous ferai voir comment ça permet d’avaler une araignée, sans les pattes bien sûr, ça accroche à la gorge, ou un escargot, sans la coquille, c’est un peu difficile ; je préfère les limaces.
– Si ça vous chante mais ce ne sera pas pour moi.
– Si vous préférez nous pouvons essayer sur les douze coups de midi, c’est une affaire de rythme.
– Pas plus, il faut vraiment avoir une grande soif.
– Pas question de soif mais de performance jeune homme.
(Margaux)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille :
– Tu vois mon pote cette bouteille est ma seule amie, mon maître. Je bois pour oublier que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
– Et moi, je ne représente rien à tes yeux ? Je suis ton ami de longue date, ton pote, ton frère ! Tu sais que tu peux compter sur moi, je ne te laisserai pas tomber….
– Ouais, je sais mais ça ne remplace pas ma femme. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’elle me fasse cocu. J’avais entière confiance en elle tu vois et je ne le supporte pas. Dire que je ne l’ai jamais trompée et pourtant, j’ai eu des occasions, je l’aimais trop pour cela. Je me demande bien ce qu’elle lui trouve à ce Bob. A part sa réussite professionnelle, il est bedonnant et plus vieux que moi.
– Jonas, il faut que tu te ressaisisses. Chez toi tu vis comme un vagabond. Ton appartement est innommable. La vaisselle s’accumule dans l’évier, c’est un monticule. Les cartons de pizzas sont répandus par terre et les bouteilles de bière jonchent le sol. Tu te rends compte lorsque tes enfants vont te voir dans cet état. Franchement tu fais peine à voir ! Ton image si raffinée en a pris un coup. Tu es mal rasé, tu t’habilles comme un clodo. Tu ne vas pas offrir à tes enfants ce tableau d’un homme alcoolique qui n’a goût à rien ? C’est cela que tu veux ?
– Oh lâche moi un peu et laisse moi cuver mon vin tranquillement. Il me faudra du temps, vieux. C’est trop tôt, il faut que j’encaisse…
Les sens en éveil (Saïda)
Silence, pas un mot de la part de Jonas, qui se ressert un grand coup de rouge, le boit d’un trait, fait claquer sa langue. Puis, se rapprochant de moi, et montrant la bouteille…
Je lui fis signe de la tête. Il me servit un verre sans décrocher un mot, et s’assit à côté de moi sur le canapé du salon.
Dans cette période de confinement, son mutisme me parut tel ce virus qui circule en ce moment, et comme tous les virus en général, ils s’inscrivent à tout jamais dans l’ADN de ceux qui le contractent.
Il me tendit le verre de vin que j’accueillis dans le creux de mes deux paumes de mains pour en sentir la température. Il aurait besoin de chauffer un peu. Je me mis à observer mon contenant fétiche, plus rond à la base, qu’à son extrémité. La couleur de ce liquide aux mille nuances, transparaissant au travers du verre translucide, m’en dit long sur sa qualité. Sa robe ambrée, orangée tirant sur le brun, réveillent ma curiosité et trahit son cépage. Je le déshabille du regard. Mes papilles se mettent en éveil.
J’approche maintenant ce verre à mon nez et j’inspire avec générosité ses fragrances. Ses arômes commencent à se libérer comme une explosion de saveurs du terroir. L’odeur de ce bouquet me fit tourner la tête.
« Pas encore, patiente avant de le déguster pas, fais durer le plaisir, laisse le prendre un ou deux degrés de plus, il est bientôt prêt… »
Je laisse passer un temps indéfini avant d’approcher le verre à mes lèvres. C’est le moment de passer à la dégustation. Je mets une gorgée de cet élixir dans ma bouche et je le fais tourner avec ma langue pour en imprégner l’ensemble de ma muqueuse buccale. J’ouvre légèrement celle-ci pour aspirer un peu d’air, et je l’expire par le nez pour en exalter le goût.
C’est un vin équilibré, comme je les aime, avec une persistance en bouche dépassant les dix secondes.
Celui-ci je ne le cracherai pas. Je sais où me conduiront les effets secondaires de l’alcool. Tant-pis, je les assume et je me laisse aller…
Merci Jonas pour ce cadeau, volé à Antoine dans sa cave du Médoc…
Marie-Louise, ton texte est une petite merveille avec ces jeux de mots avec nos belles chansons françaises !
Merci.
Il y a de la poésie dans vos textes, je pense à Saïda qui nous fait tourner la tête et me donne envie de boire un bon verre de vin ! Quant à Margaux, j’ai l’impression d’assister à cette scène tellement ton texte est réaliste !
Merci à tous pour ces délicieux moments de lecture.
le vin de Christian inhibe la gêne pour mieux oser, le vin de Marie-Louise s’entoure autour de la bouteille avec la subtilité des mots, et le vin de Margaux me donne envie de la consoler…. j’aime me faire une image furtive de chaque texte… merci de me le permettre