L’année dernière, j’ai accompagné Christianne dans l’écriture de son livre. Un beau bébé de plus de 300 pages, nourri à l’émotion et abreuvé par une mer de souvenirs. Après avoir imprimé 35 exemplaires de son livre, Christianne a écrit à nouveau. Une lettre d’amour. À son grand-père. Et elle a bien voulu que je la publie ici…
Photo : Suzy Hazelwood
À Mon Grand-père, François
Je dois te dire que tu as été un merveilleux pépé – à mon époque c’est comme cela qu’il fallait te nommer.
Tu m’as connue dans ma toute petite enfance et avec grand-mère, vous m’avez accueillie tout bébé.
Plus tard, les soirs après le souper, tu me dorlotais auprès de la cheminée. Dans tes bras robustes, grimpée sur tes genoux, je ne tenais pas en place. Tu me racontais ces merveilleuses histoires que tu avais toi-même apprises de ton père.
Je garde en moi tes merveilleux yeux, qui pétillaient de malice.
Ta moustache, qui frissonnait quand tu faisais des bruits insolites avec ta bouche. Cela t’amusait de me voir attentive à tes histoires, qui n’en finissaient jamais.
Où trouvais–tu toute cette énergie, après tes journées si longues en été ?
J’ai deux photos de toi.
La première au mariage de ta fille aînée, ma mère. Les invités posent devant un grand mur. Ma grand-mère est assise devant, vêtue d’une robe mi-longue à col blanc et chaussée de bottines. Les enfants, dont les deux jeunes sœurs de ma mère, sont assises sur des chaises paillées, avec des nœuds dans les cheveux, comme il se devait.
Je dois te dire que tu es très beau, en costume, avec un col de chemise monté, chapeauté, bien fier, tout près de ta fille Marguerite en longue robe blanche et couronne de fleurs sur la tête, au bras de son Justin.
Sur la seconde photo, prise dans la cour de la ferme, tu es entouré de tes douze petits enfants, j’ai à peu près 6 ans, je ne suis pas la plus jeune. Grand-mère est parmi nous pour une circonstance inconnue.
Comme toujours tu es souriant, ton béret incliné du côté gauche. Parmi les enfants, il n’y a que ma fratrie qui montre un sourire enjoué.
Je dois te dire que mes pensées sont souvent avec toi les nuits où je ne peux m’endormir.
Je te revois les soirs d’été lorsque tu revenais des champs.
Tu te débarrassais de ta chemise et de ton gilet de corps tricoté par mes soins, puis, devant le timbre rempli d’eau pour le bétail, tu t’aspergeais le torse et la tête, avant de te frotter énergiquement avec ta ceinture de flanelle.
Dommage !!! Que j’aie été si petite et que je n’aie pu ressentir ou comprendre ton déshonneur au retour de la guerre 14/18.
Que je n’aie pas su tes épreuves douloureuses, tes souffrances morales, après plus de quatre années d’exil sans recevoir la moindre correspondance.
L’embarras que tu as subi à ton retour dans ton foyer, devant les faits accomplis, ces deux bébés nés en ton absence…
Tu as aimé ce duo d’enfants sans distinction.
Fallait-il que tu sois un brave… Pour pardonner et continuer à affectionner ta femme, et avoir quelques années plus tard une autre fille.
Je dois te dire que tu étais un Saint à mes yeux…
Je me pose tout de même la question, savais-tu avant de revenir d’Allemagne, ce qui t’attendait à ton retour ? Pour moi c’est une question sans réponse…
Je reste sur ma faim.
Je dois te dire, tu as été l’homme de ma jeune vie, et resteras dans mes pensées pour toujours.
Ta petite fille.
Ces hommages, qui traversent toute autobiographie, m’émeuvent invariablement… Il en faut, des « saints », des « justes », des généreux, pour faire grandir les enfants.
Marie nous parlait ici de son maître d’école,
et Claude de l’enseignante qui l’avait prise sous son aile.
Joëlle évoquait la vie de ses grands-parents de Saint-Pierre-et-Miquelon dans ce texte.