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Lectures inspirantes

Au nom du père : L’Homme de ma vie de Yann Queffélec

Yann Queffélec a reçu le prix Goncourt en 1985 pour son roman Les Noces barbares. Dans le livre hommage à son père intitulé L’Homme de ma vie, l’auteur raconte comment ce dernier, l’écrivain Henry Queffélec, avala difficilement la pilule. « Le Goncourt ! J’étais lauréat du prix Goncourt ! La honte ! Il ne me le pardonnerait jamais… » Le ton est donné.

D’abord un livre indispensable à l’auteur

Dès la dédicace, Yann Queféllec livre d’emblée l’amour et l’admiration qu’il voue à son père.

 À papa,

l’homme de ma vie. 

Simple, beau, efficace !

Puis dans l’avant-propos, il explique la genèse du projet. À la mort de son père Henri en 1992, le fils a envie d’écrire sur lui.

 Un hommage ? Oui et non. Un portrait-robot mêlant père et fils sur fond de brouhaha familial pas toujours de bon aloi. 

Mais ça ne vient pas, ou mal. Car l’écriture se débat entre deux héros, celui qu’il nomme « mon père », ce chef de famille original et cultivé qui faisait bouillir la marmite avec ses romans et ses conférences à travers le monde, et « papa », un homme plus ambigu quant aux relations souvent vachardes qu’il entretenait avec le petit garçon qu’était l’auteur.

Une dizaine d’années plus tard, obsédé par la voix du livre qui ne le lâche pas (« écris-moi ! écris-moi« ), Yann Queffélec raconte l’homme de sa vie.

De la vénération et de l’amertume

C’est sur cette oscillation que repose ce fragment autobiographique.

La voix du narrateur retranscrit avec beaucoup de nuance la tendresse et l’admiration qu’il vouait à son père, tout en instillant des notes plus amères, celles d’une rancune d’enfant blessé, contre celui qui éleva la fratrie selon des principes bien établis — et parfois farfelus !

Ainsi le fils aîné, Hervé, dit Bouéboué, est-il forcé de boire un verre de vin à table – et un pomerol ! tandis que les parents se contentent d’un vin quelconque – que, du haut de ses 10 ans, il n’apprécie guère !

Le souci, c’est que le père marque nettement ses préférences parmi ses quatre enfants. Ainsi, après avoir engendré un garçon et une fille, le fameux « choix du roi », la méthode Ogino montre ses limites en donnant au couple deux autres garçons, dont « Jean…, dit brise-fer, dit le Chouan, dit Yann« . Qui aura toujours la sensation d’être l’intrus de la famille.

Un récit vif et plein de gaieté

Cependant, l’enfance que décrit Queffélec avec une plume alerte est gaie et bien remplie. Elle est émaillée par des bêtises de gamin, réprimandées par des séances de fessées paternelles pas piquées des vers…

Entre l’affection tendre et bienveillante de la mère, et cette rigidité du père adoucie par ses penchants un peu loufoques (à l’instar de cet épisode où il réveille son fils en pleine nuit pour lui confier ses précieuses 108 dents de requin, découvertes avec Julien Gracq en 1931 !), on rit et on s’attache à cette famille issue de la « haute », qui, à défaut d’en avoir encore les moyens, en a conservé les manières.

Un père à l’amour vache (et aux remarques acides)

Et pourtant, des relents de cruauté sourdent des rapports père-fils… On se crispe sous la tristesse et la colère dont on sent enfler le cœur de l’enfant, qui ne comprend pas pourquoi il se heurte à un tel mépris. Et les bouffées de désarroi et d’humiliation nous atteignent en plein visage lorsque, à 7 ans, voulant prouver à son père son courage et ses nouvelles aptitudes physiques, le petit garçon reçoit, en réponse à son  » Tu as vu, papa ? J’ai bien couru ?« :

Il répond du tac au tac, l’air indigné :

— Bien couru ? Ton frère aurait couru plus vite que toi.

Il me sourit, découvrant ses dents mal rangées qu’il ne montre jamais.

— Et il aurait mieux nagé, tu ne sais pas nager. 

 

Une revanche au goût amer

Queffélec décrit à merveille cette chose inaccessible dans la figure paternelle tant aimée. Une herse qui ne s’émoussera pas, en dépit de la distance que l’auteur prendra une fois adulte, préférant l’aventure en mer aux remous de la famille amputée de la bonne âme de la mère. Et même en dépit du succès littéraire.

Racontant être devenu écrivain presque par hasard, et pourtant lauréat du prix Goncourt dès son troisième livre, Yann Queffélec sait que son père ne supportera pas que le fils marche sur ses plates-bandes (comme si la compétition se terminait sur une triste victoire). Il offre pourtant le roman à son père, qui ne le lira sans doute jamais. Du moins lui fera l’affront de ne pas lui en parler.

 

Ce n’est pas une question d’amour, dans L’Homme de ma vie.

L’auteur ne doute pas de l’amour de son père à son égard. Mais c’est l’histoire d’un manque qui a laissé un vide abyssal : celui de s’entendre dire quelques mots, d’affection, de reconnaissance, de filiation.

Je me souviens avoir apprécié Les Noces barbares ou encore Disparue dans la Nuit ainsi que Et la Force de l’aimer parce que ces romans avaient le don de sauter sans prévenir d’un calme tendre et beau à une violence stupéfiante. Eh bien… Eh bien je vais éviter de trop analyser et de tirer des conclusions, mais je vous livre un conseil : lisez ce livre, il en vaut vraiment la peine !

 

PS: Et une fois que vous aurez lu le livre (mais seulement après, hein !), regardez cette vidéo où père et fils donnent une interview croisée à la télé… Et dites-moi ce que cela vous inspire ! 

 

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