L’artiste Julien Prévieux envoya un millier de lettres de non-motivation à des entreprises pour décliner leurs offres d’emploi.
Aujourd’hui, à notre tour de ne pas postuler, de refuser un cadeau ou une proposition, de ne pas avoir envie de… Mais on a la délicatesse d’écrire une lettre !
Découvrez les lettres de Joëlle, Alice et Saïda.
Photo : Daniel Nettesheim
Mamie (Joëlle)
Chère mamie, ma douce grand-mère,
J’ai beaucoup réfléchi, et au risque de vous déplaire…
Ma réponse est NON !
C’est vrai que, comme vous le rappeliez, lors de notre dernière rencontre dans le parc, nous avons passé de délicieux moments ensemble pendant mon enfance.
J’adorais, il est vrai vous rendre visite et jouer au jardin, j’aimais plus que tout, jouer au prince charmant, faire un tour en carrosse lorsque j’avais huit ans.
J’étais ébloui par vos tenues et vos chapeaux colorés, et cette couronne dorée en février, lorsque nous tirions la fève à la galette des rois, tous rassemblés.
Mais voilà, le drame est arrivé, maman, la plus belle des mamans s’en est allée à tout jamais.
Depuis une tristesse infinie m’envahit, mon père, ce sot, n’a pas su l’aimer.
Alors c’est vrai, pendant quelques années, je me suis mal conduit, puis je suis parti à la guerre pour tout oublier.
Mais aujourd’hui, mamie, je suis marié, j’ai un enfant et je veux retrouver ma liberté.
Fini les longs discours, les longs voyages, les poignées de mains par milliers. Je suis épuisé !
Je souhaite vivre caché, heureux, éloigné de toutes ces contraintes, ces galas de charité.
Ainsi je renonce à ma dot, à mon rang, à mon sang !
Mais sachez, grand-mère que je vous aime immensément.
J’espère, sincèrement que vous me pardonnerez.
Votre petit-fils préféré,
Harry
Non-candidature pour le poste de mouton à cinq pattes (Alice)
Madame, Monsieur,
Actuellement chef de projet de mon propre épanouissement personnel, je vous présente ma non-candidature pour le poste de mouton à cinq pattes proposé sur le site on-vous-prend-pour-des-grille-pains.com.
Après six ans d’études supérieures à La Sorbonne, Sciences Po et HEC, j’ai commencé ma carrière comme mouton à deux pattes au sein d’une organisation internationale non-gouvernementale. Au cours de cette expérience pour le moins instable, j’ai développé ma capacité à me rebiffer et à anticiper les difficultés qu’un mouton pouvait rencontrer dans un monde de loups. Quittant après un an d’activité cet environnement hostile – non sans avoir préalablement au loup que ses manières me déplaisaient – j’ai eu la joie d’être retenue parmi un troupeau de 300 moutons et suis ainsi devenue mouton à trois pattes dans une grande institution sportive. Le gain d’une troisième patte m’a mise en confiance. J’ai appris quelques tours sur la gestion stratégique d’une bergerie et son développement dans la vallée. J’ai travaillé efficacement avec vaches, chèvres et chevaux des alentours, appréciant la confrontation avec la différence, m’adaptant à mon nouvel environnement. La présence d’un caporal-chef – lui-même complètement démuni de pattes, mais entretenant l’illusion qu’il en possédait dix – en charge de surveiller mon bout de pré m’empêcha toutefois de m’épanouir dans mes fonctions. J’ai donc feint d’avoir la gale pour pouvoir m’éclipser. Aujourd’hui en confinement, je suis convaincue que j’ai toutes les compétences et connaissances requises afin de décliner votre offre de mission pour un mouton à cinq pattes.
Vous êtes une entreprise innovative, vous faites des calls et des meetings, vous calez des points à vos teams (garde à ce que le point ne se transforme en ligne, vous auriez tôt fait de prendre du temps à réfléchir et créer du lien entre vos différents services). Vous recherchez un mouton à cinq pattes pour faire des missions de mouton tout ce qu’il y a de plus lambda, cela parce que vous visez la performance, le rendement, toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus fort. Je persuadée que je ne suis absolument pas le mouton que vous recherchez et que tous les autres moutons pourront répondre mieux que moi à vos illusions.
Après deux ans d’expérience professionnelle, je sais finalement que je ne suis tout bonnement pas un mouton. Ni à deux pattes, ni à trois, encore moins à cinq et même pas à quatre. Je suis, moi, un félin, un poisson, un oiseau. Je suis le phénix des hôtes de ces bois. Je ne serais pas honorée de répondre à vos exigences qui n’en sont pas. Notre association n’est pas une opportunité partagée.
Dans l’attente de votre absence de réponse, je me tiens à ma propre disposition pour m’épanouir et grandir libérée de tout besoin complémentaire.
Irrévérencieusement,
Alice
Cher cousin… (Saïda)
Je te retourne ce colis qui m’était destiné. Sache qu’il m’est impossible de l’accepter. J’espère que tu t’en offusqueras et que tu te sentiras directement concerné par ce refus.
Comment as-tu pu penser qu’une demande en mariage pouvait racheter la dette que ton père a envers ma mère, qui n’est autre que sa propre sœur ?
Comment as-tu pu imaginer que tu pouvais m’acheter pour apaiser le conflit entre nos deux familles, en m’offrant or et soierie ?
Cette requête est faite pour de mauvaises raisons et ce serait bien de couper les fils de cette marionnette que tu es devenue et que ta mère, ma chère tante, contrôle.
Il est temps de penser par toi-même pendant qu’il est encore temps, avant que ton cerveau ne soit complètement corrompu.
Je t’écris cette lettre que je joins à ton sale paquet, qui je l’espère te fera perdre toute motivation de recommencer.
Je ne suis ni polie, ni gentille, ni stupide.
Avec tout le non-respect que je dois à cette partie de la famille, et au plaisir de ne plus te voir,
Ta cousine…
bravo aux écrivains de cet exercice pour lequel je ne m’étais pas sentie très motivée