Tandis que l’isolement forcé s’allonge, il est temps de poser un petit caillou sur le chemin. Et si on s’envoyer quelques mots pour plus tard ? Pour ne pas oublier (trop vite) ce qui nous a traversés, ce qui ne sera plus jamais comme avant.
Joëlle, Denis, Anne-Marie et Pierre partagent leurs pensées du moment…
Photo : Frans Van Heerden
Ma chérie, (Joëlle)
Ma chérie,
Comme toujours tu fais confiance, confiance à l’état providence.
Confiance à notre pays qui protège, soigne, organise tout.
Comme toujours, tu sais que la médecine va trouver une solution,
Comme toujours tout sera organisé, les sorties, les achats, les déplacements
Comme toujours, tout ira bien.
Mais un jour tu commences à douter, va-t-on y arriver ?
Voilà l’armée en renfort pour installer un hôpital,
Des trains des avions sont détournés de leur utilisation
Des milliers de Français sont hospitalisés, soignés, intubés
Et voilà les décès, des centaines, des milliers
Le personnel hospitalier est débordé, sous-équipé, en danger
Voilà des attestations, des injonctions, jusqu’où ira-t-on ?
Voilà maintenant un confinement, un isolement, une prison ?
La tension est à son paroxysme, c’est un cauchemar, un film
De série B !
Ta confiance vacille, tu te croyais au paradis, te voilà en enfer
Toi qui pensais habiter dans une bulle, protégée de tout
Te voilà seule, à errer dans un monde en danger.
Mais c’est un élan d’humanité qui te redonne espoir,
Les réseaux sociaux relaient des gestes beaux, des gestes forts,
Ces artistes qui continuent chez eux à faire de la musique et à la partager,
Ces milliers de dessins envoyés dans les hôpitaux pour encourager les soignants
Ces usines qui détournent leurs fabrications pour produire des masques des respirateurs
Ces applaudissements pour les soignants à 20h00
Ces animaux qui profitent pour prendre plus de liberté et se promener.
Comment envisages-tu la suite ?
Toujours pas de travail à l’horizon, le tourisme fait défaut
Tes enfants dispersés aux quatre coins du pays, mais en sécurité
Tes activités décuplées, écriture, lecture, peinture…
Tu veux espérer qu’on tirera des leçons de cette catastrophe
Agriculture de proximité, personnel soignant revalorisé, la planète à protéger
Les liens familiaux, amicaux, à partager, décupler, favoriser…
Tout va bien se passer.
Cher moi, (Denis)
Comment vas-tu depuis tout ce temps où tu ne m’as pas donné de tes nouvelles ? Comme nous tous, depuis un mois tu vis confiné dans ton appartement parisien et je suppose que tu trouves le temps long ! Pour te faire passer un petit moment, je vais te raconter mon quotidien, mes nouvelles routines, comment je tente de ne pas sombrer dans l’ennui.
Lorsque je me couche le soir, pas très tard, je tombe de sommeil, épuisé alors que je n’ai guère fait d’exercice de toute la journée. M’endormir est une véritable épreuve et je n’y parviens pas avant 1h ou 2h du matin. Puis, invariablement réveillé vers 6h, je me force à rester couché dans l’espoir de retrouver le sommeil. Mais, il n’en est généralement rien et je me lève, toujours avant 7h30. Le petit-déjeuner m’occupe un petit moment. Je me souviens que pendant toute ma vie professionnelle, je ne respectais pas cette étape matinale, incapable que j’étais d’avaler autre chose qu’un grand café noir. Au contraire, maintenant c’est un petit rituel dont je n’ai pas envie de me passer.
La matinée est occupée par la lecture des messages, l’envoi de quelques réponses, quelques opérations nécessitées par la gestion de la société familiale (mes frères comptent sur moi, bien qu’ils ne manifestent jamais la moindre reconnaissance !). Puis, je passe un peu de temps à faire ma part de ménage : passer l’aspirateur, il y a de quoi faire dans ce grand appartement ! Lorsque je suis en cure, une semaine sur quatre, j’attends la livraison des produits qui constituent ma dose d’injection quotidienne. Après avoir appelé l’infirmière de l’Hôpital A Domicile, j’attends son passage qui durera une vingtaine de minutes, le temps nécessaire pour me faire les deux piqûres prescrites. Un moment de calme s’impose ; je le consacre à la lecture ou à l’écriture sur le thème du jour, celui concocté par notre amie Julie. L’exercice quotidien depuis trois semaines me permet de faire fonctionner ces neurones qui, sinon, auraient volontiers tendance à bien dormir, eux !
Après un déjeuner léger, le moment est venu de faire une petite sieste dans le canapé du salon, face à la télévision allumée sur une chaine d’Histoire ou spécialisée dans les énigmes policières. Rien d’extraordinaire, mais mon attention distraite laisse parfois la place à un véritable assoupissement, bref car rarement plus d’une trentaine de minutes, mais réparateur. Vers 16h30, l’heure est venue de manger un fruit avant de reprendre soit ma lecture, soit l’écriture. Généralement entre 18h et 19h, le téléphone sonne ou c’est moi-même qui appelle mon Ami Denis V. pour un long échange (le record de durée : 1h16mn, a été établi hier !) qui nous permet réciproquement de briser nos solitudes, sachant que la sienne est véritable depuis 4 mois et demi et le décès de son épouse. Je perçois son humeur et je m’assure qu’il ne sombre pas dans une profonde déprime. Nous plaisantons, refaisons le monde, critiquons tout et tout le monde et cela nous détend de dire des bêtises. Puis vient l’heure de l’apéritif, suivi du dîner lui-même précédant une relativement courte soirée télévision.
Des trop brefs moments viennent, presque chaque jour, briser la monotonie de la routine. Ce sont ceux de nos échanges avec nos enfants, de la réception de leurs messages, des photos ou courtes vidéos des petits-enfants lancés dans ces activités multiples que leur concoctent leurs parents respectifs. Ils nous manquent tant ! Il n’est pas rare qu’en ces occasions tant attendues et espérées, l’un de nous deux ou les deux à la fois, Kakou et Papypom, aient une petite larme qui perle au coin d’un œil. Quand les reverrons-nous en vrai, quand pourrons-nous à nouveau les embrasser tendrement, à la mesure de l’amour infini que nous leur portons, à tous et à chacun d’eux ?
Ce confinement est interminable, nous n’en voyons pas l’issue d’autant qu’il nous est promis plus long encore que les quatre prochaines semaines, pour nous les anciens, les personnes âgées ou vulnérables. Cette réalité peut nous faire penser que nous ne sommes plus utiles, que notre vie doit s’avancer vers un terme naturel qui pourrait être anticipé pour peu que le sort ou la maladie vienne mêler son grain de sel en précipitant les évènements. Depuis exactement un an, je suis malade, atteint par une affection incurable. Serait-ce que ces traitements que je subis désormais régulièrement ne serviraient qu’à entretenir un espoir illusoire alors que ma situation réelle est définitivement compromise ? Alors, reverrai-je notre maison en Gironde, pourrai-je un jour retrouver le plaisir d’arpenter à nouveau un parcours de golf ? Toutes mes pensées se transforment en de nouvelles questions sans réponse. J’ai peur de partir en laissant seule ma compagne de toujours, de l’abandonner comme un lâche. Je ne veux pas lui faire de la peine, la rendre triste, pas plus elle que nos enfants et leurs familles respectives. Il me faut rester fort, droit debout, comme reste fière notre grande et célèbre voisine, la Cathédrale Notre-Dame de Paris dont le « Bourdon » résonnera ce soir à 20h pour commémorer le premier anniversaire de l’incendie qui a cru la faire disparaitre.
A bientôt, cher moi. Cela m’a fait du bien de te raconter mon monotone quotidien. Il fait un temps splendide depuis que nous sommes confinés. Bientôt, la pluie reviendra puis ce sera l’été avec son soleil ardent. Nous en profiterons, c’est sûr ! Reste chez toi, patiente en attendant des jours meilleurs.
Lettre à moi-même (Anne-marie)
Anne-Marie,
Après oui après, que vais-je faire, dire ?
Tout ce difficile apprentissage de la solitude, de la remise en question de soi restait si complexe.
Semaines après semaines un autre chemin de vie se profile.
Tout d’abord, seule, on ne fait que s’apitoyer, s’apprivoiser, et toujours ces maudites questions.
Petit à petit, on s’aperçoit de nos réactions différentes, de nos gestes, si troublants voire surprenants.
Rien n’est pareil.
On se découvre, même sans le vouloir, par la force des choses.
La vie semble au ralenti, comme suspendue, vie de tous les jours uniques et semblables à la fois.
Et pourtant, vient le temps de l’approfondissement, des sensations profondes, des sentiments déconcertants et du bien-fondé de nos actions.
Il y a comme une urgence, celle de penser, d’avancer, de réagir.
Jamais je n’ai pris soin de me poser, de me voir moi-même, au plus profond de mon âme.
J’ai eu des moments où je m’interrogeais, à savoir pourquoi j’avançais toujours et encore, mais de là à suspendre le temps…
Et là, j’y suis, je ne peux reculer.
Que vais-je faire de ma vie, de mes envies et ces manques, cette solitude.
Il me reste des espoirs, de l’espérance mais suis-je en mesure de les assouvir.
Je me sens chercher la méthode pour continuer à aller de l’avant, vers quoi, qui, comment.
Bien sûr, j’ai mille idées à la seconde, mais le faire, au détriment de quoi, et sans m’envahir à nouveau, avec enfin une vraie raison d’aller plus loin.
Oui, j’en suis là.
Ma vie n’a tourné jusqu’à présent que pour faire le bonheur des autres; c’est peut-être aussi égoïste; mais est-ce suffisant à s’emplir le cœur quand on est seule.
J’ai besoin de donner, de partager, c’est ma vie.
Cela ne me remplit pas complètement, je suis amputée.
Les mains, son odeur, le contact de sa peau, son sourire me manquent…
Je rebondis toujours, alors allons de l’avant.
Dès ma liberté de mouvement retrouvée, je ferai une grande tablée avec tous ceux que j’aime, rien de plus important.
Je continuerai de prendre soin des miens, de les serrer dans mes bras, de les embrasser et surtout de mieux, encore et encore, partager mon temps.
Peut-être simplement prendre le temps de vivre…
Mon cher Pierre (Pierre)
Mon cher Pierre,
Je t’écris au beau milieu de cette situation inédite pour chacun d’entre nous, que nous appelons le confinement.
Je pense nécessaire pour ton souvenir de présenter les réflexions ou les divers sentiments qui me viennent presque spontanément à I’esprit. Si tu n’es pas tout-à-fait d’accord avec ce qui suit, ne m’en tiens pas rigueur…
J’ai voulu te signaler ci-dessous d’abord les aspects positifs de ce moment particulier ainsi que ses inconvénients. Ecrire aussi quelques mots sur ce que tu as découvert dans ton comportement. Enfin envisager quelle serait l’évolution de notre prochain futur…
Les profits du confinement
Dans cette période difficile de tête-à-tête, tu as mis à profit le confinement pour te consacrer à la lecture prolongée d’auteurs divers. Tu as mis en valeur le petit jardin en passant le motoculteur, en semant des graines de fèves et de petits pois, en tondant la pelouse.
Avec ton épouse tu as participé à des jeux de société et vous avez fait des projets d’après la sortie du coronavirus (mobilier, voyages etc.).
Le temps désormais disponible t’as permis d’écrire chaque semaine dans le blog de Julie. Et de faire des progrès importants dans les arcanes difficiles de la généalogie, avec la découverte d’ancêtres bretons du Haut-moyen-âge…
Mais tout n’est pas idyllique dans le tableau.
Tu ne dois pas te cacher les désagréments que tu essaies de dissimuler pour ne pas souffrir plus. D’abord le silence de mort dans notre rue déserte. Prendre aussi I’air extérieur pour faire la balade quotidienne avec Jacqueline au bord de I’Océan. Il te manque aussi la partie hebdomadaire de pétanque picaresque avec les copains du quartier du Stade, les cris de Lino qui résonnent alentour. Il y a encore les courses faites en flânant qui se terminent toujours par le petit noir habituel à la Popote du Marché.
Du nouveau dans ton comportement…
Je ne pensais pas que tu pouvais accepter si facilement, avec ton fichu caractère, cette obligation difficile, pesante et stricte du confinement.
Peut-être est-ce la peur ancestrale de la mort, de ta crainte devant I’ignorance des scientifiques, du manque dramatique de moyens de protection ? Tu m’as également étonné par l’organisation efficiente de chaque journée, bien découpée en moments de travail, de repas, de détente et de repos.
Tu m’as même bluffé avec ta nouvelle proposition d’aide dans les tâches ménagères, toi qui les abhorrais jusque-là !
Enfin tu discutes plus facilement au téléphone alors que tu refusais de le faire depuis le départ en retraite…
Comment vois-tu la suite ?
Tu penses que rien ne sera plus exactement comme avant.
La peur du virus nous a fait prendre conscience d’adopter de nouvelles règles plus strictes d’hygiène. Dorénavant le port du masque va se généraliser pour circuler, faire du sport et des achats dans les commerces, les marchés. Nous allons abandonner certaines habitudes sociétales (serrage de mains ou embrassades) et être à distanciation physique.
Tu espères que maintenant dans le domaine spécifique de la Santé il y aura une plus grande production nationale et une autonomie (relocalisation). Enfin tu souhaites que les nouvelles technologies puissent faire un bond fantastique dans les domaines médicaux, des télécommunications et des transports.
Ce qui ne tue pas rend plus fort, n’est-ce pas ?
Tout d’abord, je dis félicitations aux personnes qui vivent seules, et nous en connaissons beaucoup autour de nous…
Vos textes sont remplis de sincérité, de tendresse et d’espoir. Je me reconnais dans chacun d’eux.
Nous allons surmonter cette situation inédite, c’est sûr !
Merci à tous
Quelle profondeur, quelle introspection…. merci