Un nouveau logo rallye (comme ici) qui double la contrainte… Tout commence avec une liste de mots imposés, tirés de Bonjour tristesse de Françoise Sagan. Second impératif : les textes écrits par les participants tourneront autour d’un thème, la joie !
On commence avec les textes de Françoise St.- G., Marie-Louise et Alain,
+ le texte original de Sagan…
Photo : Ylanite Koppens
Petit fou rire (Françoise St.- G.)
Un petit fou rire vivait cloîtré dans un cœur maussade. Il tournait en rond, se posant mille questions sur les raisons de sa captivité. Pourquoi le tenait-il enfermé depuis plus de 40 jours, lui qui ne demandait qu’à exploser et croître jusqu’à maturation, comme cela avait été le cas pour ses prédécesseurs ?
Il connaissait son geôlier de joyeuse réputation ; toujours le premier à rire, même dans les situations les plus délicates.
Mais là… RIEN, NOTHING, NADA, NIENTE…
Au début, son logeur avait tout rangé, briqué, désinfecté, dans sa maison, du sol au plafond. Délesté de ces tâches matérielles, il ne s’autorisait toujours pas la moindre jubilation, ni le plus petit sourire.
Petit fou rire était désespéré, condamné à s’étioler jusqu’à finir en fumée… mais pas dans un feu de joie !
Et puis, au matin du 45e jour de captivité, il fut extrait de sa torpeur par la mélodie réconfortante d’un rire naissant. Il n’en connaissait pas la cause, mais se laissa envelopper par les premiers sursauts annonciateurs d’une exaltation salvatrice.
Et soudain, il fut libéré, dans un immense éclat de rire.
Il rebondissait d’une corde vocale à l’autre dans un tourbillon de hoquets. Il montait, descendait au rythme des expirations saccadées et bruyantes de son hôte hilare.
Ce déchaînement de soubresauts libérateurs se prolongea de longues minutes, durant lesquelles, Petit fou rire devenu grand, se sentit plus heureux et plus vivant que jamais.
Quand enfin, dans un grand soupir de soulagement de son amphitryon, il reprit sa place au sein d’un cœur revigoré, il sut qu’il avait gagné les galons du plus extraordinaire fou rire du confinement.
(Marie-Louise)
Non mais c’est pas vrai ! Ils vont me rendre folle ces gosses !
Moi, ce confinement je n’en peux plus, il faut que je trouve quelque chose d’original pour les calmer, ces monstres d’enfants qui sont pourtant les miens !
Le mieux c’est que j’aille réfléchir à la question en m’isolant et pourquoi ne pas en profiter pour fumer une délicieuse cigarette réconfortante.
Tout d’abord tu te calmes Germaine ! Chantonne donc une petite mélodie, n’importe laquelle pourvu qu’elle apaise ton stress.
Non ? Ça ne change rien ?
Oh, Germaine ce n’est pas en regardant le plafond que tu vas trouver une solution.
Réfléchissons, réfléchissons.
Vraiment, Germaine, tu tournes en rond, tu tournes en rond !
C’est alors qu’une idée géniale me traverse l’esprit : Je vais me déguiser en monstre, leur faire peur un bon coup. Je vais même leur raconter l’histoire de l’ogre qui mange les petits enfants pas sages ! Puis je leur dirai que la prochaine fois, l’ogre ce sera moi !
Ouf ! la question est réglée, j’ai la solution, je me sens libérée ! Je me sens tout à coup légère, légère…
« Mes petits chéris, vous venez ? on fait des crêpes et je vais vous raconter l’histoire de la jolie princesse aux petits pois ».
(Alain)
C’était un samedi, début 1975, en fin d’après-midi.
Je venais d’arriver à Abidjan, je tournais en rond dans ma chambre d’hôtel.
Je me remettais d’une agression arrivée plus tôt dans la semaine. N’ayant pas trouvé de taxi, je revenais du Plateau (centre-ville) à pieds. Nous étions entre chiens et loups. Je venais de traverser le pont Houphouet Boigny, nom du président de la république. Je me suis fait littéralement, sauter dessus, par un individu ayant une assez grosse pierre en main. Résultat, nez cassé plus quatre points de suture au front…
Question : que vais-je bien pouvoir faire ce soir ? Surtout avec ma tête… Je ne connais pas encore les lieux de divertissement de cette grande ville. C’est à ce moment-là qu’un ami allemand Hans Dieter H m’a contacté. Je l’avais rencontré l’année précédente au Gabon.
Il était au courant de mes dernières vicissitudes. « Je suis invité ce soir à un dîner, mes amis sont d’accord pour que tu te joignes à nous ». Nous avons pris un sérieux apéritif puis nous sommes passés à table, tous les addicts au tabac se sont arrêtés de fumer.
Parmi nous il y avait deux autres compatriotes de Hans Dieter. En milieu de repas l’ambiance était déjà assez chaude. Quelqu’un a proposé une mélodie. Nous nous sommes mis à chanter, avec l’accent « Fou n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ».
Il y avait de plus en plus de gaité. Celle-ci a vraiment « libéré » les personnes présentes. Le serveur apportait le dessert, venant de la cuisine, il devait descendre une volée de marches pour atteindre notre espace. Il avait en mains une imposante omelette norvégienne. Des bougies ont été allumées dessus, et toutes les lampes éteintes. Tous nos yeux étaient rivés vers ce dessert, comme si nous regardions le plafond.
Vous l’aviez sans doute pressenti. Le serveur a loupé la deuxième marche. Il est venu, avec son précieux chargement, s’étaler aux pieds de notre table. Qu’à cela ne tienne, nous avons tous promptement réagi. Chacun armé d’une cuillère, nous bousculant quelque peu, nous avons cerné la « norvégienne » et avons sauvé ce qui pouvait l’être.
Texte original de Françoise Sagan
Deux jours passèrent : je tournais en rond, je m’épuisais. Je ne pouvais me libérer de cette hantise : Anne allait saccager notre existence. Je ne cherchais pas à revoir Cyril, il m’eût rassurée, apporté quelque bonheur et je n’en avais pas envie. Je mettais même une certaine complaisance à me poser des questions insolubles, à me rappeler les jours apposés, à craindre ceux qui suivraient. Il faisait très chaud ; ma chambre était dans la pénombre, les volets clos, mais cela ne suffisait pas à écarter une pesanteur, une moiteur de l’air insupportable. Je restais sur mon lit, la tête renversée, les yeux au plafond, bougeant à peine pour retrouver un morceau de drap frais. Je ne dormais pas mais je mettais sur le pick-up au pied de mon lit des disques lents, sans mélodie, juste cadencés. Je fumais beaucoup, je me trouvais décadente et cela me plaisait. Mais ce jeu ne suffisait pas à m’abuser : j’étais triste, désorientée.
Un coup de cœur pour le petit fou rire de Françoise. Prisonnier et libre à la fois, conditionné et révélant enfin son tempérament.
Merci Alain de toujours me faire voyager au travers le monde.
Marie-Louise, j’aurai aimé savourer tes crêpes faites avec amour;