Défi "confinés inspirés"

Défi J22 : Une injustice (2/3)

Le souvenir d’une injustice est indélébile.
De la blessure d’enfance à la révolte une fois adulte, il n’y a qu’un pas.
Avec les textes de Françoise St.- G., Pierre et Saïda.

Photo : Caleb Oquendo


Le cachot (Françoise St. -G.)

J’avais à peine quatre ans au début des années soixante et je vivais seule avec ma mère dans un village du sud-ouest de la France. Nous habitions au-dessus de la classe enfantine dont les murs étaient mitoyens avec la mairie et… l’ancienne prison. La situation de ces bâtiments, au sein d’une vieille place forte, perchée en haut du bourg, sur les remparts, rendait le lieu particulièrement inquiétant.

Par ailleurs, il existait dans la classe une petite porte qui, disait-on, conduisait au cachot ! Le cachot… La terreur des enfants ! La simple menace d’y être enfermé avec les rats calmait instantanément le plus intrépide d’entre eux. 

Lors d’une récréation, fillette timide et sage, j’observais un peu en retrait, les plus grands qui sautaient d’un muret séparant les deux niveaux de la cour. Quand soudain, l’instituteur-remplaçant les surprit. La chose était interdite ; la sanction tomba sans jugement ! Je fis partie de la rafle qui nous emmena vers le cachot tant redouté. 

J’eus beau expliquer, entre deux sanglots, que je me contentais de regarder les autres s’amuser, rien n’y fit ! Malgré mes pleurs, je fus enfermée avec mes malheureux camarades dans un minuscule local, sombre et poussiéreux, où nous restâmes terrorisés pendant d’interminables minutes. 

Lorsque le soir venu, je retrouvai ma mère, je n’osai pas lui raconter l’affreuse punition et je ne sus jamais si elle fut informée de ce dérapage. Mais je me souviens encore des horribles cauchemars qui peuplèrent mes nuits à la suite de cet épisode.

Ce jour-là, j’avais découvert l’injustice, la phobie du noir et la culpabilité infondée.


(Pierre)

L’enfance est un de ces moments privilégiés où l’apprentissage du langage concourt avec celui des codes comme la morale et la justice. Que peut faire un enfant quand il est faussement accusé ? 
Il est alors incapable de faire face à un adulte, souvent sûr de lui, coléreux et dominateur…

En ce qui me concerne j’ai le souvenir d’une situation qui semblerait à priori très drôle si elle ne m’avait causé un grave préjudice moral et la défiance de mes petits camarades de l’époque.

Je devais avoir dans les douze ou treize ans, pensionnaire dans ce collège Saint-Augustin tenu par des frères salésiens. Cette fois-là j’étais content de passer quelques jours des vacances de Pâques chez mes parents.
De retour au pensionnat j’allais retrouver mes copains. Mais cette joie fut de courte durée. Je fus rapidement convoqué chez le Père Navarro qui faisait office de censeur et de surveillant général. Il était craint et respecté comme le loup blanc. L’homme d’un naturel froid et réservé avait l’air maintenant encore plus sombre qu’à l’ordinaire.

Je me tenais debout devant son vaste bureau pendant des minutes qui me parurent durer une éternité. 
Alors levant les yeux il me lança : « Jeune homme, quand vous me croisez en ville, vous me fixez avec arrogance sans avoir la politesse de me saluer ?. Ce n’est pas ce manque de manières qu’on vous a appris dans cette école ! »
Sous le coup de cette accusation, je restais éberlué, sans rien comprendre en le regardant. J’eus sans doute le tort de lui répondre que ce n’était pas moi, car je n’avais jamais mis les pieds en ville pendant toutes les vacances.

Alors le Père Navarro entra dans une violente colère, considérant que ma défense le faisait passer pour un menteur. Les murs de la pièce tremblaient devant ses imprécations. Je commençais à pleurer ne pouvant plus me justifier devant l’injustice dont j’étais l’objet. Il m’avait alors accusé, en plus du titre de dissimulateur, d’avoir été arrogant et impoli à son égard.

Pour ma pénitence j’avais écopé de l’étude, obligé de dire un nombre important de « pater et d’ave », et privé du parloir réservé aux parents pendant deux dimanches consécutifs. Je repartis penaud et révolté de son bureau.

Ce qui me faisait le plus mal c’était d’être accusé injustement de mensonge et d’impolitesse. Mes copains me regardaient maintenant d’un sale œil et se moquaient de moi. Je rongeais mon frein les poings serrés d’une rage concentrée. Ma révolte allait durer très longtemps.
J’ai quand même souri en apprenant plus tard de façon très inattendue qu’un sosie de mon âge circulait en ville. 
J’ai compris alors le quiproquo évident de mon vieux curé. Dont acte…

Cette affaire m’a marqué intérieurement plus fort que je le pensais. Aujourd’hui je ne peux pas supporter – sans intervenir – la moindre parole déplacée ou violence envers l’enfant sans défense.
C’est sans doute un réflexe de l’enfance…


[in]justice (Saïda)

Colère de mon enfance, contre qui ? Contre quoi ? Contre l’injustice bien-sûr, l’aurais-tu oubliée ?
Tout ce qui n’était pas juste à mes yeux me mettait dans une colère, une rage que je ne savais pas contenir enfant, et lorsque la petite fille surgit encore en moi aujourd’hui. 

Je suis née de sexe féminin au Maroc, dans une fratrie de cinq enfants dont une fille, moi. Voir mes frères avoir des libertés que je n’avais pas, me faisait transgresser toutes celles qui m’étaient autorisées, les rejoignant dans les leurs, contrainte de me plier aux multiples punitions qui pleuvaient sur ma tête de fille.

Une fille de bonne famille devait se tenir, se taire, écouter, apprendre à cuisiner, grossir, pour être une bonne prétendante au mariage. Je ne pouvais pas rentrer dans ces critères car ma morphologie et mes aptitudes physiques ont vite fait de moi « le garçon manqué », une fille qui avait besoin de se dépenser beaucoup, au grand désarroi de sa famille.

Mes fréquentations (ma meilleure amie était juive), mon statut de marocaine-yéménite-française, vivant dans un quartier populaire du Maroc, ont fini par me catégoriser dans la case « étrange ». Toute remarque xénophobe vis-à-vis de ma meilleure amie Thérèse et envers moi me sortait de ma gentillesse et finissait toujours par des bagarres qui ont fait de moi une spécialiste du coup de boule. Le verbe n’avait pas sa place dans ma communication.

Au fil des années, ce verbe a rempli ma vie, mais mon regard sur l’injustice est resté intacte, comme celui de la petite fille qui me chuchote toujours à l’oreille de ne jamais oublier.

Alors est née une fervente militante de l’autonomie sous toutes ses formes, chère à mes principes.

1 Comment

  1. Françoise, merci pour ce témoignage. Dans l’école de mon enfance, chaque classe était dotée d’une grande poubelle en bois avec un couvercle. l’intrépide qui contrariait le maître, se trouvait englouti dans ce contenant en attendant la clémence de celui-ci. Les poubelles chez moi aujourd’hui sont toute petites.
    Merci Pierre pour ce beau témoignage .C’est une injustice que d’être accusé à tort. L’a-t-il su un jour le censeur qui t’a puni?

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