Je crois que vivre une enfance heureuse imprime une petite musique tendre et nostalgique à l’existence. Dominique m’en a encore donné la preuve en écrivant les souvenirs de ses dix premières années. « C’est paradoxalement l’époque dont je me souviens avec le plus d’acuité », annonce-t-il au début de son livre, dont il partage ici un extrait.
Photo : Rodolfo Clix
Dominique a grandi au sein d’une fratrie nombreuse et unie, en Vendée.
Les vacances offraient l’occasion d’élargir encore la famille, pour de joyeuses retrouvailles entre cousins, en pleine campagne.
» Avec la chaleur de l’été, personne n’avait envie de se coucher juste après le diner. Pour prolonger ces moments de partage, la veillée du soir était devenue un rituel. Il y avait toujours une certaine effervescence qui précédait ce moment attendu. Papa et Tonton Bernard trainaient à table en fumant leurs cigarettes pendant que tout le monde s’affairait à débarrasser couverts et assiettes.
Un petit temps s’offrait à nous : on sortait devant la cour de ferme et sous la petite lampe jaune au-dessus de la porte où tournoyaient les gros papillons nocturnes. Nous contemplions les étoiles et jouions à nous faire peur dans ce paysage pourtant familier, mais aux contours devenus inquiétants dans la pénombre.
Les plus grands préparaient la pièce commune pour le bon moment qu’on allait passer tous rassemblés. Les chaises étaient installées en arc de cercle, un espace central dégagé pour matérialiser la scène. Armand était un peu à l’initiative de ces soirées improvisées. Il adorait l’animation, sorte de clown blanc qui savait tout faire.
En chef de chœur, il faisait chanter cousins et cousines, agitant les bras au rythme de la musique comme Gérard Jugnot dans Les Choristes, entamant de beaux canons dont certains étaient de sa composition.
Savez-vous messieurs et dames ce qu’il faut dans une maison
Quatre murs, une chaude flamme et de la joie en toute saison
Et pour égayer les femmes les fillettes et les garçons
Des chansons, des chansons
Tonton Bernard avait une bonne gouaille pour apporter du volume sonore à notre ensemble vocal. Papa fredonnait plutôt, bas et faux, peu à l’aise en tout cas pour se mettre en avant dans ce domaine.
Entre deux chants, dans un autre registre, Armand se fendait de quelques numéros d’imitation dans lesquels il excellait. Les personnes de son entourage familial l’inspiraient tout particulièrement. Notamment son père, Tonton Bernard, avec ses coups de gueule mémorables et ses mimiques. Il riait jaune quand même, le fier tonton, quand tout le monde était plié en deux devant tant de réalisme.
Le portrait de Tata Alice était désopilant car il prenait une voix haut perchée, à la limite de l’enrayement, avec des mouvements de lèvres clapotant l’une sur l’autre. Il imitait aussi Mémé : « Veux-tu pas prendre du beurre, y en aura pu pour demain ! »
Mais le clou de son spectacle était sans conteste le portrait caricatural qu’il faisait de Papa.
Tout y était : les expressions du visage, la tonalité de sa voix plaintive « ah, mon vieux, c’est absolument invrrraissemblable… », les répliques cultes, les emportements « tonnerre de Dieu ! », les diatribes « les intellectuels m’emmerdent », tout ceci dans une gestuelle quasi théâtrale.
Fou rire général, surtout chez ses enfants.
Papa affichait un petit sourire complaisant et contrit.
Et nous voilà repartis pour un nouveau chant en canon, un peu triste et nostalgique, comme pour accompagner la nuit qui va nous recouvrir :
Ego sum pauper, nihil habeo et nihil dabo
Parfois, avant d’aller nous coucher, nous sortions tous de la maison pour ne pas que ça s’arrête, en courant main dans la main dans une farandole endiablée qui nous emportait vers le chemin du kiosque au plus profond de la nuit. Les silhouettes des grands arbres comme des géants, les oiseaux nocturnes, les petits bruits à frissons accompagnaient notre retour silencieux vers une nuit de rêves. «
Merci beaucoup, Dominique, pour ce partage !
Découvrez également le témoignage de Dominique en cliquant ici : pourquoi il tenait à écrire sur ses souvenirs d’enfance, comment il y est parvenu et ce que la réalisation de son projet a provoqué autour de lui…
Merci Dominique de partager ici un bout de ton livre. Ton écriture donne envie de te lire!
j’aime beaucoup ta couverture !
Christine