Les Années, d’Annie Ernaux, est un chef d’oeuvre.
Pourquoi est-ce que je m’emballe pour ce livre ? Parce que c’est infiniment riche et infiniment beau. Parce que c’est un récit qui mêle, avec une habileté folle, la petite histoire à la grande.
La 4è de couv’ annonce : « Au travers de photos et de souvenirs laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux nous fait ressentir le passage des années, de l’après-guerre à aujourd’hui. En même temps, elle inscrit l’existence dans une nouvelle forme d’autobiographie, impersonnelle et collective. »
C’est exactement cela, avec la plume superbe et fascinante d’A. Ernaux en bonus !
En fait, on lit un film.
De sa naissance jusqu’à la soixantaine, le personnage du livre (on reconnaît bien sûr l’auteur dans ce portrait) grandit, évolue, mûrit, vieillit, au rythme de l’album-souvenirs dont on tourne les pages. L’auteur se décrit, à partir de photos, puis replace tout le contexte d’alors.
Et c’est un véritable film qui se déroule dans l’esprit du lecteur. Il a ses décors (apparition de la télé, de l’électroménager, des zones commerciales…) et sa bande-son.
Le corps poisseux de l’adolescence rencontrait l’être “en trop” de l’existentialisme. On collait sur les feuilles d’un classeur les photos de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme, gravait dans le bois du pupitre les initiales de James Dean. On recopiait des poèmes de Prévert, les chansons de Brassens, Je suis un voyou et La Première Fille, interdites à la radio. On lisait en cachette Bonjour tristesse et les Trois essais sur la théorie de la sexualité. Le champ des désirs et des interdictions devenait immense.
Autour d’elle, le monde change, la société se transforme (l’après-guerre, la loi sur l’avortement, Mai 68, l’élection de F. Mitterrand…) et la vie continue…
C’est l’histoire d’une femme qui nous ressemble.
Au cœur du livre, il y a cette femme. C’est l’auteur et ce pourrait être une autre, de sa génération, qui lui ressemble. Puisqu’une des prouesses du récit, c’est d’être écrit avec le « on », qui inclut toute sa génération, et au-delà, les personnes qui ont vécu les événements relatés.
Sauf que, en lecteurs avertis de l’auteur de La Place et de La Femme gelée (j’aimerais également vous parler de ceux-là !), on reconnaît avec bonheur Annie Ernaux, encore et toujours. Avec ses doutes, son regard aigu sur l’évolution des mœurs, sa gêne adolescente face au désir, ses doutes quant à la vie conjugale et la maternité, et son incroyable soif de liberté.
Et cependant, inexorablement, presque sans elle, le temps s’enfuit :
Quand elle attend à la caisse de l’hypermarché, il lui arrive de penser à toutes les fois où elle s’est trouvée ainsi dans une file, avec un caddie plus ou moins plein de nourriture. […]Elle se représente ici, dans dix ou quinze ans, le caddie rempli de confiseries et de jouets pour des petits-enfants pas encore nés. Cette femme lui paraît aussi improbable qu’à la fille de vingt-cinq ans paraissait la femme de quarante qu’elle ne pouvait même pas imaginer être un jour et qu’elle n’est déjà plus.
Lisez-le ! Je vous le promets : c’est un chef d’œuvre !