écrire son autobiographie Lectures inspirantes

Plantez le décor ! (ou comment décrire efficacement le contexte)

Vous essayez de transporter votre lecteur dans une époque et un lieu qu’il n’a sans doute pas connus. Vous vous efforcez de lui faire ressentir l’animation de la rue dans laquelle vous avez grandi, la sévérité du maître d’école « à l’ancienne ». Mais c’est difficile. Et fastidieux à écrire.
Proust peignait de longues descriptions comme des tableaux. Ok, mais c’était Proust, me direz-vous ! D’accord. Et si vous commenciez par tracer les grandes lignes de votre époque ?!

photo : Min An

Éclairez votre propos à la lumière de l’Histoire

Laissez-moi deviner.
Vous appartenez, peut-être, à un temps où… 

  • les filles et les garçons fréquentaient des écoles séparées,
  • on ne jugeait pas utile d’expliquer les « choses » (la mort, la maladie, le sexe…) aux enfants,
  • les traumatismes de la Seconde guerre mondiale étaient encore présents dans les esprits,
  • la télévision constituait un luxe rare,
  • on se mariait à 20 ans, on devenait parents dans la foulée,
  • on vivait à trois générations sous le même toit,
  • les garçons faisaient obligatoirement leur service militaire,
  • etc.
Manifestation rue Chanez en mai 68
Mai 68, rue Chanez
photo : Michel Baron

Vous vous en souvenez comme si c’était hier…

Néanmoins, la plupart de ces faits sont aujourd’hui difficiles à imaginer pour les moins de 45 ans…
Et pourtant, ces « détails » ont leur importance. Ils ont conditionné certains virages de votre vie.
Ils peuvent permettre à vos lecteurs de mieux comprendre pourquoi, par exemple :

  • vous avez fondé une famille si rapidement,
  • vous n’avez jamais vraiment su comment est décédé votre père, alors que vous étiez petit.e,
  • vous avez toujours eu horreur de l’école et des figures de l’autorité en général,
  • ou encore comment vous êtes devenu.e accro à la technologie !
téléphone vintage gris avec lequel il fallait tourner la molette pour composer le numéro

Alors quoi raconter de votre époque et comment ? 

Deux exemples percutants dont s’inspirer

Extrait de Tu t’appelais Maria Schneider

Vanessa Schneider, en 2018, a publié un très beau roman : Tu t’appelais Maria Schneider. Elle y rend hommage à sa cousine, Maria Schneider. 
(Maria est l’actrice qui fit scandale après son rôle dans Le Dernier tango à Paris de Bertolucci. Je ne connaissais le film que de nom, et pas du tout l’actrice. Mais peut-être que vous…)


Derrière sa réputation sulfureuse, Maria Schneider était surtout une jeune femme que ses parents, puis son rôle dans Le DernierTango, ont lentement mais sûrement brisée.


(Évidemment, je vous conseille ce livre, c’est puissant, beau, émouvant… et instructif !)

Toute une époque en une seule page !

Au début du récit, l’auteure peint avec une efficacité redoutable, en deux coups de cuillère à pot, l’époque à laquelle sa cousine appartenait, enfant :

Tu es une enfant de l’après-guerre, de la reconstruction, du début des Trente Glorieuses. Aux États-Unis, l’année de ta naissance, une machine étrange sort des usines IBM, le premier ordinateur. Dans les foyers français, on se chauffe au charbon, on lave son linge à la main, on ne fait pas de cadeaux aux enfants en dehors de Noël et des anniversaires, on ne voyage pas, on n’a pas de réfrigérateur, les deux tiers de la population ne bénéficient pas de l’eau courante, seuls les plus fortunés ont accès au téléviseur. À l’école, les filles grandissent entre elles, à l’abri du regard des garçons. Elles jouent à la marelle, aux osselets et au yoyo en attendant l’âge des premières surprises-parties. La pilule n’existe pas, les couples se débrouillent comme ils peuvent pour maîtriser leur fécondité par le biais de la méthode Ogino et d’avortements clandestins. La pauvreté est massive. Un ancien résistant, l’abbé Pierre, fonde le mouvement Emmaüs pour venir en aide aux plus démunis.

Vanessa Schneider, Tu t’appelais Maria Schneider

Un riche faisceau d’indices

Ici, Vanessa Schneider nous replonge admirablement dans le contexte d’après-guerre. La société française est meurtrie, l’existence est rude, les distractions rares. Mais pourquoi ces détails sont-ils signifiants pour la trajectoire de Maria Schneider ? 
(Rappelez-vous, aucun mot de votre livre ne doit être « gratuit ». Chacun contribue à servir votre propos…)

Ces éléments de contexte participent de l’histoire de l’actrice à divers titres.
Notamment parce que :

  • Maria est une enfant non-désirée, née d’une liaison de sa mère avec l’acteur Daniel Gélin (la fameuse méthode Ogino, sans doute…),
  • adolescente, Maria est de plus en plus belle et attire le regard des hommes (alors qu’on mettait les filles de son époque « sous cloche » jusqu’aux « premières surprises-parties »…),
  • la vie de la majorité des Français apparaît terne et exempte de loisirs, quand Maria va se laisser entrainer, très jeune, dans la fête et les folles nuits parisiennes (en partie pour se rapprocher de son père),
  • … désolée, je ne veux pas tout vous raconter quand même !

Bref, les ingrédients sont là pour que s’épanouisse la graine d’un drame.

Un procédé qu’affectionne Annie Ernaux

Quand elle tourne Le Dernier Tango, Maria Schneider a 19 ans. Nous sommes en 1972 et la société française est en pleine ébullition.
Mai 68 est passé par là, la vague hippie déferle sur l’hexagone.

Mai 68 : tracts sur les murs de La Sorbonne
Tracts sur les murs de la Sorbonne (Mai 68)
photo : Michel Baron

Je ne résiste pas à vous livrer ce passage du roman Les Années, d’Annie Ernaux (oui, je sais, encore ce livre… C’est ma bible !) où elle mentionne le film.
Et parce que tout le livre d’Annie Ernaux repose sur ce procédé de description : celui-là même qui consiste à caractériser avec une économie de mots les époques traversées. 
(Ne râlez pas, ON NE PEUT PAS se lasser de ce bouquin.)

Selon l’âge, le métier et la classe sociale, les intérêts et les vieilles culpabilités, on accommodait la révolution à sa mesure, on suivait malgré soi les injonctions de fête et de jouissance, d’intelligence : il ne fallait pas mourir idiot. Les uns fumaient de l’herbe, vivaient en communauté, s’établissaient comme ouvriers chez Renault, allaient à Katmandou, d’autres passaient une semaine à Tabarka, lisaient Charlie Hebdo, Fluide glacial, L’Écho des savanes, Tankonalasanté, Métal hurlant, La Gueule ouverte, collaient des fleurs sur les portières de leur voiture, des posters rouges du Che et de la petite fille brûlée au napalm dans leur chambre, portaient un costume Mao ou un poncho et se mettaient à vivre au sol avec des coussins, allumaient des bâtonnets d’encens, achetaient des produits Maurice Mességué, allaient voir le Grand Magic Circus, Le Dernier Tango à Paris, Emmanuelle, retapaient une vieille ferme en Ardèche, s’abonnaient à Cinquante millions de consommateurs à cause des pesticides dans le beurre, ne portaient plus de soutien-gorge, laissaient trainer Lui sur la table à la discrétion de leurs enfants, demandaient à ces derniers de les appeler par leur prénom comme des camarades.

Annie Ernaux, Les Années

D’ailleurs, vous faisiez quoi dans les années 70 ?!

Alors, que pouvez-vous mentionner dans votre biographie ?

Revenons à vos moutons.
Lorsque vous voulez décrire une période de votre existence, quelles informations pouvez-vous glisser dans votre livre ?
Il convient de trier les plus saillantes de l’époque.
Puis de vous focaliser sur celles qui vous ont marqué.e et influencé.e :

  • les événements historiques et politiques, bien sûr.

Mais aussi, et surtout, du point de vue de la génération à laquelle vous appartenez :

  • les mœurs de la société,
  • les obligations auxquelles on n’échappait pas,
  • les interdits, 
  • la musique qu’on écoutait,
  • les vêtements qu’on portait,
  • ce qu’on lisait (et ce qu’on ne lisait pas),
  • les personnalités publiques (de l’Abbé Pierre à Sylvie Vartan !),
  • les innovations techniques et technologiques,

Ainsi, j’imagine qu’un adolescent d’aujourd’hui qui écrirait sa biodans quelques décennies, on est d’accord — évoquerait les attentats, le réchauffement climatique, peut-être Harry Potter ou encore Donald Trump… 

Et si je devais me livrer à l’exercice, j’aborderais par exemple la lutte contre le VIH (ma génération a grandi avec les campagnes de prévention), la Game Boy, les shorts cyclistes à bande fluo, la musique des Fugees et l’avalanche Internet… (enfant des années 80 !)

Le style ? Simplifiez-vous la vie.

Vous pouvez tout à fait enchaîner les phrases comme nos deux romancières.
Usez de la technique de l’énumération, de l’accumulation : mélangez les sujets (éducation, culture, politique, alimentation…) qui n’ont apparemment aucun lien entre eux. 
Vous allez ainsi peindre, par petites touches, un tableau vivant de l’environnement (mondial, national, local) dans lequel vous évoluiez. 

Une fois cette toile de fond élaborée, placez au centre votre personnage : vous ! 
Zoomez sur lui…
Qu’est-ce qu’il fait ? Où va-t-il ? Qui rencontre-t-il ? Qu’est-ce qui lui arrive ? 
À vous de raconter la suite !
Et vous pouvez tout à fait renouveler le procédé pour introduire chaque période importante de votre vie et les épisodes qui l’ont scandée.

On tente la description « à la Proust » ?

Lorsque vous zoomerez sur votre histoire, vous aurez peut-être envie de vous attaquer à décrire, à la Proust, votre petit coin de Terre… 

Nous nous arrêtâmes un moment devant la barrière. Le temps des lilas approchait de sa fin ; quelques-uns effusaient encore en hauts lustres mauves les bulles délicates de leurs fleurs, mais dans bien des parties du feuillage où déferlait, il y avait seulement une semaine, leur mousse embaumée, se flétrissait, diminuée et noircie, une écume creuse, sèche et sans parfum.

Marcel Proust, Du côté de chez Swann

… Ou pas !

Avez-vous essayé cette technique ? Avec quels résultats ?

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