Défi "confinés inspirés"

Défi J 13 : Le temps de… (1/3)

Le confinement, une période où on a du temps ? Mais le temps de quoi, au juste ? 
Les journées comptent toujours vingt-quatre heures… Il est peut-être simplement question de changer ses habitudes. 
Voici ce que Nolwenn, Michel, Adeline et Saïda ont changé à leur quotidien.

Photo : Aphiwat chuangchoem


Retour à la case départ (Nolwenn)

Il a suffi d’apprendre que nous devions « rester chez nous » pour que toute sortie, nécessaire ou pas, devienne mon aventure journalière.
L’idée de marcher ou de courir dans mon quartier est devenue vitale. Sortir, échapper au cadre familial, ne plus voir mon père se traîner dans la maison, ne plus écouter ma mère, sortir de cette chambre que je trouve belle mais dans laquelle je ne supporte plus de rester.
Dehors le printemps me saisit et me réjouit plus que de raison. Je cueille des pâquerettes, des boutons d’or, une autre fleur jaune dont je ne connais pas le nom mais qui sent très bon et puis une autre blanche inodore. 

Depuis quelques jours, j’ai rempli la maison de ces petits bouquets que je vole au printemps. C’est la joie la plus simple de ma journée : le soleil, et puis sortir un peu pour le prendre. Ma maison est adorable, on s’y sent bien.
Mais depuis que je n’y vis plus, j’ai besoin de la retrouver pour l’apprécier. Mais en ce moment, je la trouve tous les matin, la même qu’hier, la même que demain. Sortir marcher dans mon quartier. L’idée me semble presque absurde, car mon quartier, un lieu tranquille, proche de la ville et pas des plus laids, n’a rien d’un lieu de promenade.
Je réalise la chance d’avoir vécu ces derniers mois à quelques mètres de la mer, puis en plein centre-ville d’une belle capitale à l’entrée de l’Europe de l’est. Je marche et je pense, je me souviens, j’imagine. Mais attention, je ne suis pas tout à fait ailleurs non plus : je marche et je cueille des fleurs.
Les fleurs sont belles, je m’engage dans une rue que je ne connais pas, je salue des inconnus, il fait beau et je ne suis plus chez moi.
Je retrouve un semblant de solitude. Il me semble quand je sors que je vais quelque part.


Que Vide ! (Michel)

Depuis que le virus est sorti de l’écran
Passé sur le clavier des vies
les réseaux se font courant courus
Et des post sont sans pièce ni face.

Depuis que le temps du virus est venu
Le temps change le sens des vents, la couleur des cuivres
« L’avant-cène », l’avant-hier, l’après tout
Et la vie des rues aussi.

Les souvenirs habillés de tiroirs se font la malle 
Comme les sourires d’arrogance 
et les mains grandiloquentes.
Le temps raconté ne compte plus.

Parfois je ferme ma poche
Je glisse la clef dans la porte ;
Maintenant l’ordre m’ importe peu
Et Le désordre aussi peu

Avec la même clef
Mécaniquement je remonte le temps
Ou descends le trottoir
La tête vide égarée.

Avec La même clef virale
je noue mon écharpe
ajuste mes branches de verre
Et les fenêtres de mes yeux.

Sans frein je déambule l‘heure
Qui s’égrène le long des trottoirs
Si vite « empreintée » si vite rendue
Ma solitude fend la foule que j’imagine

A l’heure je m ’invente d’autres jeux
Et de ma tête décapsulée
Sortent des lutins des cabris
Des farces et des barbaries.

Je prends le temps de me donner du temps
Pour défier l’enfermement
Démolir pierre à pierre les miroirs et les murs
Et conquérir le silence

Le sourire rêve d’un courant d’évasion
Le soleil me chauffe les pores sauvages
Je bois les images et les songes
Je laisser le temps défiler les rues dociles


Sisyphe (Adeline)

Rome. Le confinement est tombé un lundi soir d’insouciance. D’abord, l’angoisse. Puis, le défi. J’aimerais bien vous dire que je me suis remise à lire, à chercher un nouveau travail, à faire la fameuse to-do list qui ne cesse de grandir depuis quelques déménagements ou encore à étudier assidûment le russe. Bah non. Rien de tout cela fut réellement effectué jusqu’à présent. La nécessité de trouver un plaisir quotidien s’est imposée. Par goût mais aussi par obligation. Un de mes colocataires (nous sommes trois) s’est retrouvé à avoir les symptômes du fameux virus du moment et a dû rester pour trois semaines en isolement dans sa propre chambre. N’ayant pas la possibilité de sortir, les règles inspirées du domaine carcéral nous furent imposées. Il ne pouvait pas mettre un pied dehors sans notre autorisation et ceci uniquement pour se rendre à sa salle de bain. Il a bien fallu que je me penche sur ce conflit latent entre la cuisine et moi. D’une part, notre prisonnier devait être nourri. D’autre part, ma colocataire, bourreau de travail, a décidé de me considérer comme gouvernante. Je me suis donc retrouvée à cuisiner pour mes deux aînés et ce trois fois par jour. Un sentiment de joie et de panique me hante encore. 

Le fameux bonheur véhiculé par la cuisine ne mérite pas plus de détails, il saute aux yeux : la découverte d’une nouvelle recette, le sentiment de satisfaction, la gratitude (ou non) reçue, … Toutefois, parlons de la conséquence principale, de cet effort ultime, de cette vermine : la vaisselle. Oui, la vaisselle. Ma pire ennemie. J’aimerais vous décrire l’entrain qui me porte lors de la préparation d’un nouveau plat, de cette redécouverte du temps pour manger sainement, de cette opportunité pour se concentrer sur une activité que j’avais délaissée, de complimenter ce moment dit « manuel » de ma journée de confiné. Non non et non. La vaisselle est mon mythe de Sisyphe. Ma torture quotidienne qui me défie. En conclusion, toutes mes combines pour cuisiner le moins possible afin de laver un montant minime de vaisselle ont été terrassées par le confinement. 


L’art du rien… (Saïda)

S’il y a une activité à laquelle j’accorde du temps aujourd’hui, c’est bien celle de l’art du rien, ce quelque chose qui me permet d’aller encore plus loin dans cet espace de moi-même où l’ombre est opaque et le brouillard dense. Cet endroit sombre où règnent angoisse et peur, avec cette impression qu’à leur contact, je pourrais mourir ou être aspirée dans un vide sans fond, car elles sont rejetées comme si elles ne faisaient pas partie de moi.

Ce dynamisme que je mets tous les jours pour remplir mon quotidien (cuisine, jeux, écriture, activité physique…), je le ponctue par cette activité du rien qui n’engage que moi et moi, et qui me remplit d’allégresse pour affronter ce monde sociétal dans lequel je vis.

Aujourd’hui, je pars volontiers à la quête de ce lieu dont je ramène à la surface de ma peau des petits fragments de moi-même que j’apprivoise avec douceur et amour. Ces petits riens de l’ombre étaient dans le déni depuis longtemps sous d’épaisses strates, provoquant des émotions et sentiments qui ne sont que de l’ordre du passé, grignotant parfois la joie de vivre qui ne demande qu’à être révélée. 

Avec l’art du rien, je cultive ce que je suis avec lucidité et bienveillance, où ombres et lumières s’entremêlent dans ma conscience renouvelée. 

J’accueille mes fragilités et mes failles et je les partage volontiers sans plaintes, ni peur d’être jugée. Je ne veux pas être reliée aux autres uniquement par la complémentarité de nos forces. Je ne veux plus avoir peur de mes pensées les plus obscures, ni en avoir honte car je ne ferai que les croître.

Je ne sais pas qui a dit que chaque être est doté d’un don qui lui permet d’être un soutien, consolation, mais aussi d’une faille, d’une fêlure, d’une fragilité qui réclament l’aide d’autrui.

Alors s’il y a quelque chose que je cultive en ce temps de confinement, c’est bien l’art du rien…

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