Défi "confinés inspirés"

Défi J10 : Brin de causette (2/4)

Discutez-vous facilement avec une personne que vous ne connaissez pas ? Inventées ou vécues, voici des conversations entamées « au débotté »…
Et écrites par Marie S., Joëlle, Brigitte et Michèle.

Photo : Fabrizio Verrecchio


Histoire de béton (Marie S.)

Ce matin, je me retrouve dans la file d’attente de la boulangerie comme j’ai pris l’habitude de le faire depuis le confinement.
Et je prends bien garde à respecter la distance de sécurité d’un mètre mais il y a cet homme, derrière moi, qui se rapproche dangereusement et qui me dit :
– Heureusement qu’il fait beau, c’est tout de même plus sympa !
– Oui, c’est vrai, vous avez raison, lui répondis-je sans envie.
– Vous avez vu, ils ont même pas d’masques les vendeurs !
– Oui, effectivement, cette pénurie de protections est incompréhensible…

Mais il me saoule celui-là, je n’ai pas envie de rabâcher ce qu’on entend à longueur d’ondes toute la journée. Et puis, ça ne le dérange pas de me parler dans le dos alors que je me retourne à peine ; il ne comprend rien ou quoi ?

Tiens ! Le gars en face, il a bien avancé dans la construction de son garage… Il a bien de la chance, lui, d’avoir du béton par les temps qui courent. Moi, avec ma terrasse, je n’en peux plus d’attendre la fin du confinement pour pouvoir enfin aller chez Castorama. 

Et mon voisin de reprendre :
– Mais que les gens sont bavards ! Ils croient quoi, qu’on a que ça à faire ! Et vas-y que ça discute ; on va pas y rester toute la matinée !

Cette fois-ci, je ne lui réponds pas, mince ! Je me demande bien ce qu’il a de si important à faire, importuner sa femme sûrement, vu ses réflexions…

Je regarde ce maçon et je l’envie avec sa truelle, il me regarde, je le regarde ; il faut que je me calme, il va imaginer des choses. Quand je repense à Jean-Pierre qui s’est pris une amende de 135 euros à cause de moi… Je vais le rembourser, c’est sûr.

L’homme, derrière moi revient à la charge :
– Faut pas toucher à la porte d’entrée, vous savez ; j’ les ai pas vus désinfecter après la sortie des clients, faites gaffe !
– Oui, oui, merci.
Mais il n’arrête pas celui-là !

Pour mon sac de béton, on a essayé avec J.P. de le faire passer mais la police l’a arrêté au rond-point de Casto ; ils n’ont rien voulu savoir étant donné que mon ami est plaquiste et pas maçon. C’est quand même dingue cette histoire, je ne pourrai pas terminer ma terrasse avant des semaines à cause d’un sac de béton pour mes dix plots !

– Eh, oh ! c’est à votre tour monsieur ; c’est à vous, c’est bon, vous pouvez y aller !

Celui-là, je l’ai repéré avec son ciré jaune ; la prochaine fois, je me mettrai à 15 mètres de lui !!!


Voyage voyage (Joëlle)

Eté 1976, j’arrive, en territoire inconnu, loin de chez moi.
Pas de contact, pas de famille, pas d’amis, je suis toute seule.
Pas de téléphone non plus, une autre époque !
Je viens de fêter mes 18 ans, et je veux du dépaysement !


La vie grouille ici, il y a des gens en tous sens, je ne reconnais rien.
Rien de mon pays, ici tout est différent, même le langage.
Les odeurs, les couleurs, les visages, les tenues vestimentaires.
Et puis, ces hommes en armes, je n’en ai jamais vu d’aussi près, des armes !
Et puis, ces femmes en armes aussi et en jupe, couleur camel…
D’autres femmes se protègent du soleil sous de grands foulards qui couvrent leurs visages. Je suis complètement perdue.

J’ose demander mon chemin, à une jeune femme dans la rue.
Dans un anglais très scolaire :
« Excuse me, I am looking for this adress », « Can you help me please ? »
 Elle me sourit et me répond :
« אני לא מבין אדוני, סליחה, »

Je souris, je n’ai rien compris ! Je la remercie d’un signe de tête.
Je fais quelques pas, je demande timidement à un autre piéton, en anglais toujours.
il tente de m’expliquer (dans son anglais à lui) comment rejoindre cette adresse.
« J’aurais dû faire plus d’efforts pendant les cours d’anglais » pensai-je !
Je ne suis pas au point !
Me voilà à « baragouiner » anglais avec un habitant dont je ne comprends pas la langue.
Et qui baragouine lui aussi dans un anglais avec un fort accent que je ne comprends pas !
Me voilà bien avancée ! Il a dit « bus » à un moment…et « street » aussi…

Je me liquéfie, je commence à paniquer, où vais-je dormir ce soir, au secours ! Help me !

Je suis presque en larmes, un autre jeune arrive, et cela recommence…
« Where do you want to go ?»  me dit-il.  Je lui montre l’adresse et annone quelques mots de moins en moins sûre de moi, et de mon accent. 
Nous échangeons quelques phrases en anglais et soudain, il me regarde et sourit : 
« tu es française ? 
– Oui ! Je suis française ! (Ouf sauvée ! je suis sauvée !)
– Mais que fais-tu là ? Tu es en vacances ?
– Oui et toi ? Es-tu en vacances ? lui demandai-je 
– Non, moi j’habite ici, à Tel Aviv depuis cinq ans… Alors regarde, pour aller à cette adresse il faut……

Un grand « Merci » à cet inconnu.


Voyage intérieur (Brigitte)

Elle s’approche de moi et me demande si je suis française, elle a dû apercevoir le titre du bouquin posé à côté de moi alors que je rêvassais au-delà du paysage qui défile lentement puisque nous venons à peine de  quitter les quais et les bruits de port que j’aime tant.

Si d’habitude , je suis moi-même prête à rapidement engager la conversation, cette fois je m’en éloigne car je veux rester dans le monde des images de la journée merveilleuse que je viens de vivre.

Fermer les yeux et revoir , ressentir à nouveau mais est ce vraiment possible ? la magie de ces moments partagés en paroles parfois, en silences souvent, puissance des regards complices.

Voyager au cœur de mes émotions secrètes domine aujourd’hui l’envie de m’abandonner au flux de paroles vagabondes.


Furtive rencontre (Michèle)

Le soir, invariablement, je passe par le hall de la gare de Lyon pour prendre mon train et rentrer chez moi. Je marche vite, absente de tout ce qui se passe autour de moi. J’ai horreur de la foule et encore plus de celle des gares. 

Ici, pas le choix. Il faut avancer. Pas d’état d’âme, surtout. Je regarde ma montre. J’ai largement le temps de rejoindre le quai, sans m’énerver. Cherchant à me faufiler dans la foule, je vois au loin un visage connu ; en fait deux visages connus. 

Intérieurement, je m’amuse de ce moment incroyable : notre Président de la République et son hôte étranger. Comme à son habitude, il est élégant, affable avec son légendaire sourire carnassier. Par contre, je n’arrive pas à mettre un nom sur la personne qui l’accompagne. C’est un président aussi. Non, un roi. Pays arabes, je pense. Cela m’agace… Sur la pointe des pieds, je suis du regard leur direction. Tiens, ils vont au « Train Bleu ». Evidemment, bon choix… 

De voir, comme cela, ces deux personnages illustres, un soir d’été, rentrant de je ne sais où, aller se rafraichir, moi me dépêchant après une journée de travail, rejoindre mon chez-moi, une bouteille d’eau dans mon sac. Complétement anachronique.

Je continuais à traverser la foule, quand devant moi, un homme me bouscule légèrement. Il s’excuse, puis continue son chemin vers la sortie de la gare. Décidemment… c’est vraiment curieux ce soir. Car lui aussi, je le connais… Je me retourne. Mince, lui aussi. Il s’arrête. Moi aussi. On se regarde. Je souris. Lui aussi. Impossible de bouger, je le regarde. Lentement, il revient vers moi. Quelle classe… Quelle allure…

Une petite voix me dit de partir. Mais je ne bouge pas. Je l’attends..

– Bonjour, on se connait ? Vous m’avez regardé.
– Excusez-moi, je suis désolée, je vous ai pris pour quelqu’un que je connaissais.
– Mais vous ne partiez pas…Vous ne bougez pas…
– C’est vrai, je vous prie encore de m’excuser… Je suis encore tout étourdie d’avoir vu notre Président..
– Vous l’avez reconnu, je suppose.
– C’est difficile quand même ne pas le reconnaître !
– Vous avez le temps d’aller boire un verre, juste en face ?
– Pourquoi ?
– Pour faire connaissance…
– Pourquoi ? Je me suis déjà excusée pour ma méprise.
– A mon tour, pourquoi êtes-vous restée plantée là à me regarder ? – Non, non, vous vous trompez vraiment sur mes intentions..
– Alors, je vous demande d’accepter cette invitation, pour me faire pardonner. Vous êtes pressée ?
– Non, juste mon train à prendre.
– Quelle heure ?
– À 21h35. 
– Parfait, vous voyez, en face, Les Deux Savoies. Juste le temps. Venez..

Je l’ai suivi. Nous nous sommes installés, moi sur une banquette, lui sur un fauteuil.

– Vu le peu de temps, café ?
– Oui.

Il fait un signe en direction du comptoir. Aussitôt la commande est prise.
Les cafés arrivent. Je me tais. Je suis mal à l’aise. Je me demande pourquoi j’ai accepté ce café, pourquoi je suis là assise avec cet inconnu.

– Je crois que je me dois de me présenter..
– Cela serait bien. La situation est complétement…
– Non s’il vous plaît… Je ne vous drague pas.
– Au moins, je suis en partie rassurée… vous savez, j’ai des enfants… on m’attend.
– Attendez, je sors mon portefeuille, je me présente.. Je suis.. On va simplifier, celui qui s’occupe de la protection du Président. Je m’appelle Joël, regardez.

Il me tend son portefeuille et je vérifie effectivement son statut. C’est bien un tricolore.
Je me mets à rire, à rire, soulagée mais aussi tellement rassurée. En lui tendant à mon tour son document, maladroitement je bouscule ma tasse de café qui va éclabousser la veste de son costume. Je deviens rouge, balbutie des mots incohérents, je veux partir. Lui me regarde, amusé de ma panique.

– Mais ce n’est pas grave. Je vais aller mettre un peu d’eau. Attendez-moi.. C’est vraiment sans importance. Vous attendez ?
– Oui.

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