Défi "confinés inspirés"

Défi J14 : La chute (1/2)

Pas évident de trouver une bonne chute à une scène ou un chapitre… Et si on vous la donnait d’emblée ? Quelle histoire inventeriez-vous pour la précéder ?
À partir de trois phrases qui terminent l’un des chapitres du roman Saga de Tonino Benacquista, les participants ont imaginé ce qui avait pu se passer avant !
Lisez les textes de Joëlle, Pierre et Margaux.

Photo : Martin Péchy


Les deux frangins (Joëlle)

Ce soir, Cyril et moi, on est invités chez Bébert, mon beau-frère. 
Bertrand a 25 ans, il est mécano chez Renault.
C’est un gars sympa, un peu colérique, il aime les motos, les filles et la musique.
Il adore réparer, dépanner les motos, les bagnoles.
Il est cool mon beau-frère, il ne dit jamais non, c’est le bon pote. 

Mais bon, Bébert il aime un peu trop faire la fête !
Il est passionné de moto cross, d’ailleurs demain il a une compet’…
Jacky et moi, on est arrivé tout sourire, fin de journée, vers 20h00.
Nous voici dans la cuisine qui jouxte l’atelier, c’est cool, on va passer une belle soirée.
Je pose les pizzas sur la table, du moins, j’essaye, car il y a les restes d’un repas…
La toile cirée n’est pas nickel, c’est un peu « le bordel » chez mon beauf. 
De nombreuses bouteilles vides dans l’évier, du rhum, de la vodka, du whisky, coca.

Que s’est-il passé ? Pourquoi Bébert n’est pas là ? Il a rien préparé pour notre diner ?
Il a oublié ?

Bon, il est où Bébert ?! 
– Bébert ! Bébert !, crie Cyril. Tu es où ?
– Hum humgrgr…

Un grognement nous répond de l’étage de la maison. Cyril attrape la rampe et monte les escaliers quatre à quatre. Je le rejoins et on découvre Bébert prostré.
Il est recroquevillé au pied du lit, la tête entre ses mains, les ongles noirs, le sang coule depuis son crâne de piaf sur son oreille droite.
– Bébert !, crie Cyril qu’as-tu fait ? 
– J’ai rien fait, j’ai…j’ai bu un coup avec les potes et en allant pisser : j’ai tombé !
Bébert pleure, comme un petit enfant, il s’est un peu blessé, il est bien bourré.
Il marmonne : « la moto, la moto, j’ai pas fini de réparer, la moto… c’est demain… » 

Je regarde Cyril, les sourcils froncés, je suis fâchée, notre soirée est ratée.
Avec tout cela, j’ai même pas faim, la pizza Régina me regarde en coin…
Pas besoin de m’expliquer, j’ai déjà tout compris : Cyril va rester avec son frère et va passer la nuit à réparer la moto…Pour que Bébert, demain, puisse participer à la compétition !

Je le connais trop bien, Cyril, mon mari, il est bien trop gentil !
Je suis très en colère !
Cyril m’embrasse tendrement et me dit doucement :
« Je vais en avoir pour une bonne partie de la nuit, prends le canapé si tu n’as pas envie de rentrer. »
J’ai décliné l’invitation et laissé les deux frangins seuls.


Une nuit d’enfer (Pierre)

Mon travail d’interne en chirurgie cardiaque à La Pitié-Salpêtrière me plaît énormément. Cela me change beaucoup du CHU.
A 25 ans, je suis sur le terrain, loin des cours magistraux si fastidieux, des visites près du lit des malades où plastronnent les éminents patrons et mes futurs confrères.

Avec l’apparition de ce nouveau virus qu’on appelle Covid-19, le monde médical où j’évolue a été complètement bouleversé. 
On a droit désormais à des marques d’estime de la part de la population qui nous applaudit sur les balcons le soir à 20 heures. Du jamais vu, quand même les médias s’y mettent.
Entre nous les soignants s’est créée une nouvelle fraternité, une entraide de bon aloi. On adopte le tutoiement et on noue des liens amicaux avec les médecins en titre, les infirmières, les brancardiers et les aides-soignantes.
Tout le monde est affairé. Les tours de garde s’enchaînent rapidement, chacun se soutient en cas de difficultés et de baisse du moral.

Je partage mon appartement de Paris avec les deux frères Touati, mes amis de longue date du faubourg de Saint-Ouen. L’aîné Jean-Marc est agent immobilier chez Orpi, tandis que l’autre plus jeune que moi bosse à la Société Générale.

Nous avons choisi ce logement pour sa proximité avec le boulot et pour le prix abordable du loyer. Le seul hic c’est qu’il n’est pas très grand, avec une seule chambre à deux lits et le salon où trône un canapé pour le troisième d’entre nous. C’est Marc le plus jeune qui s’y colle pour ce lit d’appoint. L’animal est d’habitude rétif, mais là sur l’unanimité il a accepté sans broncher…

Dans cette pénible période de confinement et de chômage partiel, mes deux potes sont obligés de faire du télétravail avec leurs sociétés. Mais la marmite bout. Ils s’accordent volontiers une heure vers 19 heures pour un jogging à deux autour de l’immeuble. 

Les tensions inévitables ont commencé depuis quelques jours. 
Les frangins s’accordent pour mettre en vrac sur le dos des médecins et du Gouvernement tous les manques d’organisation, de prévision touchant le nombre de lits de réanimation, les ventilateurs, les tests, les stocks de masques. Et en plus il y a les amendes.
L’ambiance dans ce logement étroit devient délétère…

Cette fin d’après-midi je suis de repos. 
Pendant que les deux autres sont affairés sur leur ordinateur, je me détends allongé sur le lit. Je rêve en découvrant avec intérêt le roman du Britannique Peter Frankopa intitulé « les routes de la soie ».
Je suis tellement absorbé que je mets un temps fou pour entendre le bruit lancinant du Smartphone qui bourdonne depuis un moment. L’appel vient de l’hôpital. Au bout du fil, la voix féminine me prie avec tact de rejoindre d’urgence le bloc de cardiologie. Tous les plannings viennent de changer à cause d’une arrivée massive de patients de tous les coins du département. Je ne peux pas me défausser devant la détresse sanitaire. Ce n’est pas non plus dans mes habitudes. J’essaie de garder mon sang froid. Je prends rapidement une douche, je m’habille et me pointe devant les deux lascars qui observent la scène du coin de l’œil.

« Les gars ! je viens de recevoir un coup de fil urgent de l’hosto. Ils sont débordés et je dois rejoindre de suite le bloc. Je vais en avoir pour une bonne partie de la nuit ».
Alors Marc saute sur l’occasion pour me lancer : « Dans ce cas prends le canapé, si tu n’as pas envie de rentrer ou que tu reviens tard. ».

Devant ce monument d’opportunisme et d’égoïsme j’ai décliné l’invitation et laissé les deux frangins seuls.


(Margaux)

Cela fait des mois et des mois que nous menons une enquête pleine de rebondissement sur des petits dealers qui pourrissent la vie insipide des jeunes camés.
Je suis détective privé et mon collègue, un petit jeune qui débute dans la profession, pas très aguerri aux méthodes expéditives, n’a pas le cœur bien accroché. Nous touchions au but et Laurent m’attendait dans la voiture resté aux aguets. 

Dans une maison que nous savions désertée pour le moment et à deux doigts de débusquer un gros mafieux, je recherchais des preuves de sa culpabilité. J’observais partout avec attention, fouillais… Je vois l’ordinateur et découvre une clé U.S.B cachée à proximité, avec vidéos compromettantes. Je l’ai enfin ! Il ne va pas l’emporter au paradis !

Tout d’un coup le téléphone sonne, mon associé me prévient d’un danger imminent. Vite, je n’ai pas le temps de partir. Je me cache derrière une porte. Le mafieux rentre tout doucement, regarde partout, méfiant. Je suis piégé, il va me trouver. J’ai un pistolet et suis en alerte. Lui, habitué aux rixes entre mafieux n’est pas dupe. Il se passe quelque chose, pense t-il ! Il avance et me découvre. Je suis fait comme un rat. Je suis obligé de me défendre et de dégainer. C’est de la légitime défense. J’appelle vite Laurent. Nous essuyons fébrilement toutes les empreintes. On nettoie le sang partout et on l’enveloppe dans une carpette au milieu du salon. Enfin, on le porte dans le coffre de la voiture. Ni vu ni connu.
On s’empresse de rentrer.
Mon collègue est livide et a des nausées.

Je lui propose de monter dans mon appartement. Là, je lui offre un whisky coca et en prends un aussi. Laurent est complètement assommé. Je sais, petit, c’est une drôle d’histoire mais c’était lui ou moi.

Je vais prendre une pelle et l’enterrer dans un endroit ou l’on ne sera pas prêt de le retrouver. Et puis, ce n’est pas une grosse perte, t’inquiète pas, il ne foutra plus la vie en l’air de ces pauvres gosses.
«  Je vais en avoir pour une bonne partie de la nuit, prends le canapé si tu n’as pas envie de rentrer. »
Il a décliné l’invitation et m’a laissé seul.

1 Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *