Variations autour d’une chute !
Ici, à partir de trois phrases imposées à placer en fin de texte, les participants ont imaginé ce qui avait eu lieu… juste avant…
Lisez les textes d’Alain, Saïda et Michèle.
Photo : Cottonbro
Le manuscrit (Alain)
J’étais au bout du rouleau. En voyant la couverture de Paris Match, j’ai eu une idée. Je l’ai creusée et après m’être renseigné, je suis allé rendre visite à Toni et Nino.
Je leur ai présenté l’affaire comme cela : « J’ai eu un tuyau, le manuscrit du nouveau livre de Julie B., la J.K. Rowling française est terminé. Actuellement il est dans le coffre de son éditeur Galliseuil. Ils craignent les hackers, il n’y a pas de version numérique. »
Mon idée est de le récupérer puis de faire chanter cet éditeur, il sera certainement prêt à payer une bonne rançon…
Nino m’a dit « Je ne lis pas, qui est cette Julie ? »
Son premier livre, il y a cinq ans s’est vendu à 100 000 exemplaires, le second à près de 300 000, les critiques estiment que le prochain devrait dépasser largement les 500 000. En se basant sur un prix de plus de vingt euros pièce, cela fait une bonne somme.
Toni a déclaré « Quand j’étais dans la salle d’attente de mon toubib la semaine dernière, elle avait sa photo dans Gala ».
J’ai précisé : « Le coup serait à faire demain matin entre cinq et six heures. J’ai repéré les lieux, bien sûr, il faut neutraliser le système d’alarme, je m’en occupe. Pour le coffre Toni, je te fais confiance. C’est un Fichet 47BC, son poids dépasse 1,6 T, nous devrons l’ouvrir sur place. »
Toni m’a répondu : « Il faut que j’étudie ça de près, je vais en avoir pour une bonne partie de la nuit, prends le canapé si tu n’as pas envie de rentrer ».
J’ai décliné l’invitation et laissé les deux frangins seuls.
La dette (Saïda)
Lorsque James prit contact avec moi, je savais que le moment était venu de rembourser la dette que j’avais envers lui et son frère Rayan. Comment oublier cette nuit du 24 décembre où j’avais failli perdre la vie dans cette cave en bas de cet immeuble de la Zup Nord d’une ville de France dont je tairai l’identité.
« Ma partenaire Rose a été arrêtée par la police et ne peut pas livrer la marchandise comme prévu. C’est pour ce soir, on t’attend. »
James avait ses propres codes mais il était réglo. Je savais qu’il me laisserait tranquille après ce retour d’ascenseur. Enfin je serais libre de cette dette qui m’épiait du coin de l’œil comme on espionnerait le dealer du siècle, pour le coincer en flag de transaction, ou mieux encore, lui tirer une balle dans la tête, selon que l’on est flic ou chef de bande adverse.
J’avais rendez-vous chez les frères Jolivet, quelques barres d’immeuble plus loin. Je connaissais les risques. James et Rayan étaient les chefs du gang de la Zup Nord. Cette période de confinement allait m’aider. En portant masque, lunettes, casquette et combinaison, j’aurais moins de chance de me faire repérer par les miens de la Zup Sud.
En arrivant sur les lieux, au dernier étage de l’immeuble X, porte 73, je fus étonnée de voir une jeune femme sortir du logement avec un gros sac sur l’épaule. J’espère qu’elle ne m’a pas reconnue, me dis-je.
« Ces enfoirés de flics n’avaient rien de solide contre elle. Nous n’avons plus besoin de toi », rétorqua Rayan, regardant dans ma direction et me faisant signe d’entrer. Il alluma une cigarette après avoir écrasé la précédente dans le cendrier sur la table, où liasses de billets et poudre blanche attendaient le retour de Rose pour une autre livraison.
Je me méfiais de lui. Il m’aurait laissée crever dans cette cave miteuse ce 24 décembre sans l’intervention de son frère James.
Mon espoir de liberté se volatilisa comme un brouillard au petit matin chassé par le lever du soleil. James s’approcha de moi, se pencha et me dit à l’oreille d’une voix très douce contrastant avec celle de Rayan :
« Je vais en avoir pour une bonne partie de la nuit, prends le canapé si tu n’as pas envie de rentrer ».
J’ai décliné l’invitation et laissé les deux frères seuls.
Le voyage de la déception (Michèle)
A la demande de leur père, Louis et Alain devaient se rendre à l’Aubrière. Maison familiale dans le Perche. Ils s’étaient donné rendez-vous à Saint Arnould pas très loin du péage, afin de ne prendre qu’une voiture, par commodités financières.
Instinctivement, les deux frères s’étaient mis en costume sans se consulter.
Le ton de la voix du père au téléphone n’était pas de bon augure. Louis n’arrivait pas à cacher sa nervosité et se tordait les mains. Alain décida de prendre sa voiture et invita Louis, en lui tapotant sur l’épaule, à ne pas s’inquiéter.
– Tu sais bien que ce n’est pas la première fois qu’on se rend à l’Aubrière.
– Je ne sais pas pourquoi, mais là, j’ai un mauvais pressentiment.
– Tu penses à quoi ?
– Je n’ai pas aimé sa voix du tout. J’espère qu’il n’est pas gravement malade.
– Tu connais Papa, il aime bien se la jouer…
– Encore, une de ses blagues.. Tu crois ?
– Mais, oui, juste un besoin de voir ses enfants… Mais il ne sait pas le dire. C’est un tendre bourru.
– Espérons, espérons.
Alain démarra la voiture et passa tranquillement le péage pour se diriger vers la Ferté Bernard. Louis s’était déjà assoupi. Alain regarda son frère avec attendrissement. Il ne change pas malgré les années. Toujours la même bouille pensa-t-il en le regardant dormir.
Visiblement, il était content de faire ce voyage avec son petit frère. Même s’il savait qu’il dormirait tout le long du trajet. Depuis tout petit, Louis dormait quel que soit le mode de transport et se réveillait tout seul, dès la fin de son calvaire.
Alain n’était pas inquiet. Il conduisait souplement tout en admirant la forêt. De temps en temps, il regardait son trajet sur son portable. Plus qu’une heure trente pour arriver. Il imaginait déjà son père se tenir aussi droit qu’un aristocrate sur le pas de la maison. Toute son enfance l’attendait aussi. Les cabanes dans les arbres, voir l’aube laiteuse se lever sur l’étang, le chant du coq, partir à bicyclette avec son frère et les parents mais aussi le matin ouvrir le poulailler et courir après les poules pendant que son frère, consciencieux, avait pris le panier pour ramener les œufs. Chaque fois, Maman lui caressait les cheveux en l’embrassant pour le remercier et chaque fois il revenait vers son frère en criant qu’il avait eu un bisou..
Ils avaient été heureux dans cette maison. Alain, c’était le grand après papa. Deux ans plus grand que son frère Louis, cela compte !
La vie s’est écoulée très vite. Sans se retourner. Petit à petit, les frères n’étaient plus venus que pour les grandes vacances pour aider à l’entretien de… l’Aubrière qui comptait pas loin de 5 hectares de terre.
Alain tout ému, regarda sa montre. Dans dix minutes, fin du voyage. On arrive soupire-t-il. Son frère grogna. Il se mit à rire. Le petit village, son église, l’épicière et le boulanger… vite, vite, un tournant à gauche et voilà.. La grande maison est là.
Les deux frères hésitent mais restent dans la voiture. Alain klaxonne. D’abord sa mère, puis son père sortent de l’Aubrière.
– Vous en avez mis du temps. Avec votre père, on commençait à s’inquiétait.
– Il y avait du monde sur la route.
– Vous avez mangé tous les deux ?
– T’inquiète maman. C’est fait. Tout va bien. Et vous ?
– Demande à ton père…
Les deux frères s’immobilisent, collés au sol. Un silence lourd. Louis, tousse légèrement pour éclaircir sa voix :
– Qu’est-ce qui se passe Papa ?
Le père baisse la tête, le corps légèrement voûté. Avec sa chaussure, il fait des ronds sur le gravier.
– J’attends le notaire.
– Michel ? Mais pourquoi aujourd’hui ? C’est ton copain. Pourquoi avec nous ?
– Justement, il est là en tant qu’ami de la famille, dit la mère, gênée.
– Un notaire, mais pour quoi faire ?, cria Louis qui commençait à s’énerver de ne rien comprendre à leur venue.
– Mes enfants, coupa le père, nous allons mettre en vente l’Aubrière. Michel veut bien s’en occuper. Désolé de l’annoncer aussi brutalement.
– Mais c’est notre maison, tu ne peux pas nous faire ça. Dis quelque chose maman, supplia Alain.
– Votre père veut mettre ses affaires en ordre. On devient vieux. Le domaine est trop grand.
– Mais on est là, maman, s’il te plaît…
– Votre vie est à Paris. Vous allez rentrer bientôt dans la vie active. Vous avez besoin de faire votre vie d’homme.
– Mais maman…
Louis se jeta dans les bras de sa mère en pleurant.
– Bon En admettant.. Qu’allez-vous devenir ? Papa ? Maman ? Non, non… pas vous, souligna Alain, devenu tout pâle en se tenant à une chaise.
– On est fatigués… Trop de soucis cette maison… Trop grande, trop vide… tiens voilà Michel qui arrive. Venez dans le salon, je reviens, dit le père en s’éclipsant dans son bureau, sans répondre à son fils aîné.
Quelques secondes plus tard, Michel salue toute la famille et s’assoit comme les deux autres frères sur le canapé. Le père arrive avec deux énormes dossiers et des albums de photos. Puis se tournant vers Michel :
– Je vais en avoir pour une bonne partie de la nuit, prends le canapé Michel si tu n’as pas envie de rentrer.
Michel, mal à l’aise, déclina l’invitation et décida subitement de sortir dans le jardin pour laisser les deux frangins seuls.
Vos textes nous font rapidement basculer dans le vif du sujet, j’ai eu l’impression de regarder un film…
Merci pour ces bons moments.