peut on changer les noms dans sa biographie
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Faut-il changer les noms dans son autobiographie ?

Notre existence et celle de notre entourage sont de formidables réservoirs à histoires. Histoires vraies ou histoires romancées ? Si vous vous lancez dans l’autobiographie, pas le choix, la vérité est de mise. Cependant, avez-vous intérêt à brouiller les pistes en changeant le nom des protagonistes ?

Photo : George Milton


1) Écrire sa vie, c’est d’abord s’engager dans la vérité

Le pacte autobiographique : le souci de vérité

Souvenez-vous, quand on écrit son récit de vie, son autobiographie, celui qui dit « je » est à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage du livre.
Donc, c’est vous, en toute transparence. 
L’exercice est codifié, l’auteur s’engage à dire la vérité et demande à son lecteur de le croire.

Vous interpelez votre lecteur pour qu’il accepte, ou du moins entende, votre version de l’histoire, votre vision personnelle des faits qui se sont déroulés.
Par ailleurs, en écrivant votre vie, vous avez bien souvent des messages à transmettre et des souvenirs à partager.
Or, pour instaurer la confiance nécessaire, rien de tel que la transparence.

Votre lecteur : qu’attendez-vous de lui, au juste ?

La relation avec votre lecteur est au cœur de la question du changement de noms.
Comme l’explique Philippe Lejeune, on ne lit pas de la même manière une autobiographie ou un roman.

 Dans l’autobiographie, la relation avec l’auteur est embrayée (il vous demande de le croire, il voudrait obtenir votre estime, peut-être votre admiration ou même votre amour, votre réaction à sa personne est sollicitée, comme par une personne réelle dans la vie courante), tandis que dans le roman elle est débrayée (vous réagissez librement au texte, à l’histoire, vous n’êtes plus une personne que l’auteur sollicite). 

P. Lejeune, Le Pacte autobiographique

Ainsi, en rebaptisant les gens et peut-être les lieux de votre histoire, en brouillant les frontières avec la réalité, vous ouvrez grand la porte à l’interprétation de votre lecteur. Vous le mettez à distance, par la même occasion.

La tentation du « il/elle » plutôt que du « je »

Avant même de transformer les noms des protagonistes, on est tenté de parler de soi en utilisant « elle / il », plutôt que « je ». Même si vous écrivez avec la plus grande sincérité…
Pourquoi ?

  • Par modestie (« je ne vais quand même pas parler de moi en long et en large »)
  • Pour libérer l’écriture et oser (la mise à distance du « je » permet de livrer des éléments qu’on a du mal à exprimer…) 
  • Par pudeur (on ne vous connaît pas encore écrivain.e, c’est un peu étrange de tout dévoiler ainsi, n’est-ce pas ?)

Votre personnage vous ressemble donc trait pour trait, mais, non, voyons !, ce n’est pas vraiment vous. La preuve, il porte un autre prénom que le vôtre !  

Verser dans l’auto-fiction et romancer

Et pourquoi pas ?!
Vous voici devenu un autre et les gens qui gravitent autour de vous changent à leur tour de patronyme. Reste que ceux-ci ressemblent comme deux gouttes d’eau à votre amour de jeunesse, votre fille ainée ou ce collègue que vous n’avez jamais pu encadrer.

Les frontières avec votre vie réelle se brouillent, vous mettez à distance tout ce petit monde.
Alors survient quasi inévitablement le désir de romancer les choses, en modifiant – juste un peu – les événements. 
Certes, à travers cette écriture, vous pouvez tout à fait faire passer des messages, des émotions que vous avez réellement pu ressentir face à une injustice ou un débordement de joie.
Mais vous ne pouvez pas demander à votre lecteur de « croire » les faits que vous racontez, libre à lui d’interpréter vos paroles…

Aussi, demandez-vous : quel est donc votre objectif en écrivant ce livre ?

pourquoi écrire sa biographie

L’intention envers le lecteur influence forcément l’auteur…
photo : Cottonbro


2) Écrire sa vie, c’est – toujours –assumer ses paroles

Votre responsabilité juridique en jeu

Après en avoir parlé dans cet article, je ne reviens pas sur la définition de la diffamation, mais cela peut être l’épine qui vous tracasse.
Ressortir une vieille affaire qui n’a pas été réglée, accuser quelqu’un d’un fait dont personne d’autre que vous n’a été au courant…
Que risquez-vous en nommant expressément quelqu’un ?
(En sachant que le fait de se reconnaître peut suffire…)

Oui, la diffamation et l’injure sont punies par la loi mais relèvent de procédures complexes qui protègent également la liberté d’expression.
Pas de panique donc !
Dites ce que vous avez à dire, mais soyez toujours de bonne foi…

Vous ne voulez blesser / choquer personne, mais…

Plus fréquemment, les auteurs penchent vers le changement de noms pour ne blesser ou choquer personne. « Je n’écris pas ça pour me venger », « Je n’ai pas envie que Untel se sente visé ».
On peut parfois être tenté d’anonymiser aussi par pudeur…
Ok. Mais si vous racontez des épisodes qui se sont réellement déroulés, et les conditions exactes de leur survenue (on est là pour ça, dans les mémoires et biographies, non ?). 
Alors le fait de changer les noms ne résout rien.

Pourquoi ? 
Parce que les gens se reconnaissent et vous reconnaissent. Le tour de passe-passe est donc (totalement) inefficace… Puisque vous provoquerez tout de même les effets auxquels vous souhaitiez échapper.

malgré le pseudo vous êtes reconnu

« Vu ! On t’a reconnu ! »
Photo : Rabia


3) Mais écrire sa vie, c’est aussi opérer des choix stylistiques et narratifs

Et si on « gommait » certains noms ?

À la relecture de son manuscrit, un participant me disait il y a peu :
« Je fais quand même un portrait peu flatteur de la famille M. Et si les descendants tombaient sur mon livre ? »
Il n’y avait rien d’injurieux dans sa description (truculente, certes !) et le pourcentage de chances que les enfants et petits-enfants de la famille M. lisent un jour son livre me paraissait assez faible.

Mais après tout, pourquoi ne pas, cette fois-ci, se contenter d’une initiale pour prévenir ce risque ? Ou en inventer un autre, si vraiment… 

Savoir doser l’effacement

enlever le nom rend anonyme

Le seul bémol, c’est qu’il vaut mieux éviter de répéter le procédé si on ne veut pas perdre son lecteur.
Lui a besoin de voir s’incarner les personnages et leur nom y participe grandement.

Imaginez votre livre uniquement rempli de « B. me demanda si F. était encore les parages. J’avais bien croisé A., l’ainé de la famille X. mais F. semblait avoir disparu de notre bonne ville de H*. Je promis à B. de me renseigner auprès de Mme G., leur épicière. »

J’exagère, je sais ! Mais l’idée est là. 


* Car les lieux sont également des indices qui mènent tout droit à vous, bien sûr…

Photo : Lilartsy

Passer certains faits sous silence

Je sais que certains écrivent leur histoire pour se libérer de fardeaux, d’épisodes désagréables ou traumatisants.
Et que cela implique de désigner les acteurs de ces heures sombres. 

Mais dans le cas, inverse, où les passages problématiques seraient totalement secondaires à ce que vous souhaitez partager, vous pouvez également envisager de les passer sous silence.
Après tout, est-ce que cette anecdote ou ce passage fait progresser votre histoire ? Ce moment a-t-il été si marquant dans le devenir de votre personnalité qu’il vous faille ABSOLUMENT le coucher sur papier ?
On peut bien reculer devant l’obstacle, parfois !


En conclusion, pour l’autobiographie…

Finalement, la solution résiderait plutôt dans la manière dont vous allez introduire votre histoire et vos personnages. Dans l’autobiographie, l’auteur passe généralement par une étape obligée au démarrage et tout au long du livre : il prend des gants.

C’est-à-dire ? 
Vous demandez à votre lecteur de vous croire, tout en admettant vous-même d’emblée que votre vision est subjective. Il est important de lui rappeler que, même si vous vous engagez à être honnête et de bonne foi, votre témoignage reste tout personnel. Un autre protagoniste ayant vécu le même évènement, à vos côtés, ne sera pas forcément d’accord avec votre version des faits…

Et si cela vous semble insurmontable, il sera toujours possible de faire de votre vie un roman, en avertissant au préalable votre lecteur :

« Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite. »

Ah, vraiment ?!

6 Comment

  1. Merci pour vos excellents conseils.
    J’ai écrit ma vie depuis ma naissance jusque ± 25 ans sans modifier les noms, sans travestir les faits.
    Cependant j’ai parsemé mon histoire de faits divers ou historiques ainsi que de nombreuses photos et images.
    J’aimerai beaucoup avoir votre avis sur la possibilité de publier ce travail.
    Comment puis-je vous le faire parvenir ?
    Grand merci d’avance

  2. Un grand merci, Julie, pour ce beau travail.
    Moi, j’ai écrit ma vie aussi, et mon passé dès ma naissance jusqu’à mes 28 ans, sans changer de noms, de date, et j’ai même ajouté des photos. Je peux publier ce travail ?
    Ou c’est plutôt bien de brouillé le piste en utilisant un autre nom?

  3. Bonjour
    J’ai écrit un livre mais je voudrais savoir si j’ai le droit d’écrire le nom des proches ou amis qui participent dans mon récit étant donné que je ne dis rien de mauvais sur eux mais juste des faits réels vécus.. J’hésite parce que je connais pas la réaction des gens , merci pour votre éclairage

  4. Merci pour vos explications, en écrivant mon parcours de vie , des années 1960 à 1988, j’avais commencé par citer les noms de familles de dizaines de camarades d’école, de collège, de lycée puis de la Marine, personnes dont pour la majorité d’entre elles, j’ai perdu la trace depuis longtemps. Suivant l’avis de l’éditeur, et bien que je ne rapporte que des souvenirs et anecdotes sans jamais porter atteintes aux personnes, j’ai décidé de les enlever, en laissant toutefois les prénoms de beaucoup d’entre elles, et en supprimant celles dont je ne me souvenais que du nom de famille. Je suppose que le fait de pouvoir citer les noms de personnes existantes reste confus pour nombre d’auteurs, du fait des questions juridiques de respect de la vie privée et de droit à l’image également. C’est assez frustrant du reste car cela me semble enlever une part de réalité au récit de vie.

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