La généalogie passionne plus de 60% des Français, selon un sondage Ipsos mené en 2010. Enquêter sur ses racines et conserver la trace de ceux qui nous ont précédés fait partie intégrante de l’atelier. Aujourd’hui, Joëlle partage avec nous les souvenirs étonnants, et tendres, de ses grands-parents, des habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon qu’elle n’a pas souvent côtoyés, mais qui l’ont profondément marquée…
» Mon grand-père Elie était un homme droit « comme un I » au sens propre comme au sens figuré.
Je le revois à l’automne de sa vie chez ma tante R., sa fille, qui l’accueillit chez elle pour les dernières années de son existence.
Je le revois, méticuleux, à la cuisine, en train d’essuyer la vaisselle. Avec une grande délicatesse, il essuyait une jolie tasse à thé avec application. Et, chose étrange, tout en discutant avec mon père, il passait le torchon plusieurs fois dans l’anse de la tasse pour qu’aucune goutte d’eau ne reste prisonnière. Ce geste est gravé dans ma mémoire.
J’ai connu ce grand-père lorsque je devais avoir 14 ans environ.
Nous étions au tout début des années 1970 et mes parents avaient alors eu la possibilité de faire le voyage très coûteux jusqu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, où mon père était né.
« J’ai connu » est une drôle d’expression, car en fait je ne le connais pas, je l’ai croisé au cours de vacances, peut-être cinq fois. Il était déjà âgé, il était doux, souriant, d’une grande sagesse. Mon père avait de grandes discussions avec lui. Le temps et l’éloignement n’avaient pas permis à ces deux-là de partager beaucoup de choses : quelques lettres, un appel téléphonique à Noël. Mon père semblait boire ses paroles. Il y avait beaucoup de respect, de retenue entre eux.
Lorsque j’ai rencontré « le Père Elie » et ma grand-mère Léonie, partie hélas bien trop tôt, ils habitaient une jolie petite maison traditionnelle de l’archipel.
Celle-ci était couverte de bardeaux, ces petites planches de bois qui recouvraient les façades de toutes les maisons pour les isoler du froid glacial. La maison était blanche et chaque encadrement de fenêtre était rouge.
Il y avait un jardin, que ma grand-mère soignait avec bonheur. Et des fleurs, magnifiques : des lupins !
Ces belles hampes de couleur blanche, mauve, se dirigeaient vers le ciel avec une grande délicatesse et un naturel infini.
Je me souviens de l’étage de la maison où la machine à coudre de Léonie trônait dans la chambrette. Ma grand-mère avait été couturière.
La fenêtre « à guillotine » était une curiosité. Elle ne s’ouvrait pas comme nos fenêtres en France avec deux larges battants. A cause d’une météo trop rude, le vent, la neige en hiver, cette fenêtre qui équipait alors toutes les maisons ne possédait qu’un unique carreau. Il coulissait de bas en haut, comme la guillotine ! Un petit taquet permettait de la positionner à moitié de la hauteur ou tout en haut pour faire rentrer l’air pur !
Il y avait aussi ce curieux fil à linge, fixé au premier étage près de la fenêtre. Muni d’une poulie, le fil à linge était relié à un poteau fixé dans le jardin. Il permettait alors de mettre son linge à sécher sans sortir de la maison. Un système de va et vient très efficace envoyait les culottes, brassières (soutien-gorge) et chemises danser dans le vent des rocks endiablés. En cas de soleil, et malgré d’épaisses couches de neige sur le sol, pas besoin de mettre un pied dehors. Quelle invention !
Je n’étais pas au bout de mes surprises…
Surtout lorsque ma grand-mère me demandait d’aller chercher « trois tomates » chez le marchand du quartier ! Elles venaient de loin ces tomates, forcément d’un autre pays, et le prix confirmait leur rareté.
Le fromage arrivait « en conserve » qu’on ouvrait alors comme une boîte de thon.
Pour la viande, il fallait que le boucher soit fin bricoleur, puisque la viande congelée se découpait uniquement à la scie circulaire laissant quelques sciures d’os sur le papier d’emballage, que de souvenirs…
Mon grand-père avait passé sa vie sur son frêle esquif, « le Doris ».
Pêcheur de morues, il avait dû braver le mauvais temps toute sa vie durant. En juillet la brume dangereuse, épaisse comme une purée de pois, l’automne avec les violents coups de vent.
Armé seulement d’un compas pour se repérer, sans moyen de communication, il fallait bien connaître le coin pour ne pas se mettre en danger.
Grand-père Elie était la droiture même.
Pendant la prohibition, de nombreux pêcheurs troquaient leur cargaison de morue contre des caisses de whisky. Ces frêles esquifs partaient alors, « chargés à baroté » à la nuit noire depuis les criques reculées de Saint-Pierre pour accoster une heure après sur les côtes Terre-Neuviennes à la barbe des gardes-côtes.
Là, le précieux liquide était revendu à prix d’or. De nombreux Saint-Pierrais ont pu ainsi s’enrichir. Il fallait être un peu « tête brulée », et courageux aussi.
Mon grand-père lui, restait de marbre, d’autant que ma grand-mère Léonie ne voyait pas d’un bon œil ce trafic qui pouvait envoyer les contrebandiers dans les geôles canadiennes. Il n’en était même pas question !
C’est ainsi que Saint-Pierre se transforma en plaque tournante, et que des milliers de caisses de whisky trônaient sur le quai. De nombreux bateaux accostaient au port, pour déposer la précieuse cargaison, c’était la belle époque pour l’archipel et l’argent, comme le whisky, coulait à flots.«
Merci beaucoup, Joëlle, pour ce joli hommage (dépaysant!) et les photos d’archive !
Et vous, d’où venaient vos grands-parents ?
Quel bel hommage ! Plongée touchante et intemporelle dans les années 70 à Saint-Pierre-et-Miquelon. Joëlle nous entraine et nous fait découvrir le charme mais aussi la réalité de la vie des habitants de l’archipel. Ce texte est superbe, il contient une part d’histoire, de culture mais aussi d’amour. On sent le respect et l’admiration que porte Joëlle pour ses aïeux et leur histoire. J’ai adoré ce texte.
Oui, c’est exactement cela ! Avec une petite touche d’humour, pour relever le tout !
Merci pour ton message Noémie, je suis ravie que ce récit t’ait plu. Tu en parles si bien.
Bravo Joëlle pour ce beau « reportage » en terre miquelonnaise ! Moi qui aime les récits historiques, je suis gâtée. J’aime ta description du personnage de ton grand-père, elle est très tendre…
Je comprends tout à fait ton regard d’adolescente devant les détails quotidiens de la vie de l’île. Ayant habité au Canada, moi aussi j’avais de la peine à descendre ces « maudites fenêtres » sans me faire mal !
Merci beaucoup pour ce magnifique récit.
Marie
Marie-Claire, merci pour votre commentaire, je suis surprise et contente que vous ayez aimé.
C’est un premier essai à l’écriture.
Ah, j’ai oublié, mon mari m’a installé une corde à linge avec poulie et je m’en sers depuis des années, tellement le système est ingénieux !
Marie
Merci Joëlle pour ces jolis souvenirs de la vie à Saint Pierre et Miquelon, que je ne connais pas, mais où tu m’as fait plonger l’espace de cette lecture. Ce devait être une vie rude, la pêche en doris sur les bancs brumeux où l’on pouvait se perdre à tout moment était très dangereuse. C’était aussi la vie des marins rochelais autrefois lorsqu’ils partaient sur les bancs.
Tes grands parents sont vibrants de réalité, ils apparaissent avec la dignité des gens simples et l’on ressent l’affection que tu leur portais.
Bravo Joëlle pour cet hommage touchant.
Merci pour ce commentaire !
Et pour le parallèle entre Rochelais et Saint-Pierrais : si loin, si proches…
Claudine, toi qui a lu un nombre incalculable d’ouvrages, sur l’histoire de La Rochelle,, l’histoire de France, l’histoire d’ Aliénor d’Aquitaine et tant d’autres, je me sens très humble en racontant mes souvenirs d’enfance.sur cette île si particulière.
je suis contente que tu y aies trouvé un intérêt.
merci
Ce récit résonne particulièrement en moi car je suis de lignée bretonne et de pêcheurs islandais. J’ai découvert un jour à Ploubazlanec dans le musée Islandais le nom des mes ancêtres. Je les avais déjà en transcription sur un arbre généalogique mais absent de toute émotion car cela ne représentait pas grand chose pour moi. Le fait de voir des photos, des écrits, des banquets de mariage a été très violent pour moi. J’existais à travers ces gens qui avaient une vie de labeurs sans se plaindre et toujours cette petite flamme du bien faire.et respectueux de la vie. Pécheur d’Islande de Pierre Loti retrace bien la réalité de l’Homme et la Mer. Votre récit en est un beau témoignage très vivant qui honore tous ces travailleurs de la mer.
Merci Michèle pour votre joli commentaire.
Je suis heureuse que vous ayez pu retrouver des écrits et des photos qui évoquent la vie de vos ancêtres.
Joëlle, je suis tombée par hasard sur votre texte et je le trouve très instructif (un vrai récit ethnologique ! ) et très bien écrit qui plus est ! Je veux dire par là que l’écriture est très fluide et qu’on a envie de continuer à lire pour en savoir plus sur la façon dont les gens vivaient à cet endroit-là à ce moment-là (c’est ce que j’aime dans les voyages, découvrir comment vivent les autres dans d’autre environnements…)
J’imagine bien « le Père Elie » et la grand-mère Léonie et leurs valeurs de droiture et de respect, avec juste les quelques mots que vous utilisez pour les décrire.
Merci Joëlle pour ce partage !
Françoise, merci pour votre commentaire qui me va droit au cœur,
Je suis ravie que vous ayez aimé ce texte, il est venu d’un trait, c’est le récit authentique de ce que j’ai vécu.
« Ce caillou » comme on l’appelle est un archipel très mystérieux, on y voit des phoques en nombre,
les baleines s’invitent aux beaux jours, La nature est incroyable, on découvre une forêt boréale, drossée par le vent. On peut cueillir des baies oranges des platebierres, que l’on trouve aussi en Norvège.
Les maisons sont peintes en rouge, bleu ou orange pour affronter la brume et la neige. C’est typique!
Il fait entre o et 7 degrés en ce moment…
Voilà un petit tour dans nos îles lointaines…Bon voyage!