Défi "confinés inspirés"

Défi J10 : Brin de causette (4/4)

Terminons notre série de conversations engagées avec des inconnus. Imaginées ou vécues, elles ouvrent toujours des perspectives…
Avec les textes de Pierre, Margaux et Saïda.

Photo : Skitterphoto


La rencontre (Pierre)

Cela se passait au mois d’août 2016 au cours de nos vacances en Corse. 

Nous avions décidé de passer trois jours à Porto-Vecchio, ayant choisi à l’avance cet hôtel Bellevue de la famille Casanova. Il se trouve sur la route des plages…

Le premier jour, de bonne heure au matin du petit déjeuner, nous n’étions pas nombreux assis autour des petites tables sur la grande terrasse surplombant la route et la belle campagne environnante qui commencer à s’éveiller. 

Nous étions installés près d’un couple un peu plus jeune que nous. Après un rapide salut poli mais souriant nous avons déjeuné sans engager plus avant la moindre conversation. Dans ce genre de rencontres d’une seule entrevue on ne se permet pas toujours de nouer des contacts…

Le deuxième jour et pratiquement à la même heure, nous avons retrouvé ce couple qui venait de nous précéder sur la terrasse. J’avais à ce moment-là le sentiment curieux que nous nous connaissions depuis longtemps. Cela arrive sans doute en présence de visages qui nous paraissent sympathiques ?

Comme Jacqueline et moi sommes deux bavards impénitents, nous avons donc engagé la conversation au cours du petit déjeuner. 

Ils disaient arriver de la région bordelaise. Après avoir loué un véhicule pour faire le tour de l’île, ils allaient bientôt finir leur périple et devaient prendre dès le surlendemain le vol de retour sur le Continent. 

Jacqueline s’adressait à la dame tandis que je conversais de bonne humeur avec le gars :
– La location d’un véhicule est-elle intéressante ?
– Assurément j’ai déboursé à peine 300 euros et le petit gabarit de la voiture m’a permis de rouler tranquillement sur toutes ces routes pleines de virages.
– C’est vrai qu’avec ma 2008 j’ai souvent eu peur, lorsque j’étais suivi par un insulaire qui voulait doubler à tout prix. La location est fort intéressante ».

Cette petite conversation avait permis désormais de créer un lien, une sorte de connivence par rapport aux autres clients de l’hôtel.

Le dernier jour de cette rencontre sur la terrasse nous a permis de faire plus ample connaissance avec Jacques et Marie-France. 
Lui était lorrain des environs de Nancy avec une carrière dans la gendarmerie. Elle était native de Bordeaux de parents nés en Afrique du Nord. Tout cela évidemment nous rapprochait.

– Je vous conseille d’aller voir aussi un endroit formidable me dit Jacques. C’est le Capo di Feniu sur la route des Sanguinaires !
– Merci de votre idée, c’est promis nous irons découvrir cet endroit.

Avant le départ nous avons échangé les adresses en promettant de se revoir. Entretemps nous avons communiqué par téléphone et par internet.
Ils sont venus de bonne grâce à notre 50ème anniversaire de mariage en octobre 2018. Sans ce maudit coronavirus nous devions nous rencontrer en Charente-maritime puis en Gironde au mois d’avril 2019…

Cette rencontre fortuite m’avait permis de découvrir un nouvel ami…


Dans un train (Margaux)

Je suis dans le train qui part de La Rochelle pour aller à Nice. J’ai horreur du train car le trajet s’avère long et monotone. A vol d’oiseau, la distance La Rochelle Nice est de 714 km.
Ce n’est pas rien. La durée moyenne que l’on passe dans le train pour y aller est de 14 h 43 mn au mieux.

C’est la première fois que je monte seule dans un train pour un aussi long trajet. Je suis donc assise et me laisse bercer par le bruit saccadé des roues sur les rails. Il y a beaucoup de monde. 
Un monsieur, à peu prés de ma génération me demande si cela me dérange qu’il se mette à côté de moi car c’est son numéro réservé. Je lui rétorque que non, je voyage seule. Le passager s’assied donc à mes côtés. J’ai un bouquin ouvert de Guillaume Musso, je fais semblant de m’absorber dans le bouquin et l’observe à la dérobée. Je sens également son regard sur moi. Il me dévisage. Au bout d’un moment, il engage la conversation.

– Vous êtes de La Rochelle ?
– Non, je suis native de Vendée à seulement 4o km de La Rochelle mais j’adore cette ville et ses alentours. 
Il acquiesce.
– Cette ville est vraiment très belle et touristique !
– Et vous ? lui dis-je.
Il me dit habiter Paris.
– Cela doit être infernal à la longue avec la pollution, le stress et toutes ces personnes ?
– Oui, c’est vrai ! D’ailleurs, j’envisage de me retirer dans quelque temps vers Nice, c’est là qu’habitent mes parents. La côte est très pittoresque, il y a tant de sites à découvrir et le soleil est présent presque toute l’année. Mon fils qui vient d’acheter s’y plaît bien. Vous savez, je viens de perdre ma femme d’une longue maladie lancinante, un cancer… Maintenant, je me sens seul là-bas et tout me rappelle son souvenir. Je crois que je n’arriverai pas à vivre seul. Cela me semble impossible
– Je comprends, dis-je. 

Le monsieur en question s’épanche de plus en plus et ma foi le trajet passe très vite.
– Nous voilà arrivés, dis-je ! Je ne me suis pas du tout ennuyée en votre compagnie. Le temps a passé très vite. Cela a été très agréable.
Je suis donc dans l’allée et je réalise qu’il est fort séduisant. Sa démarche sportive et altière, très branchée, lui confère un certain charme. A mon avis ce monsieur ne restera pas longtemps seul !


Le rose aux joues (Saïda)

Je n’avais que dix-sept ans quand ton regard a croisé le mien sur ce bateau qui nous amenait tous les deux vers la côte de Tanger. Je ne me rappelle ni de ton prénom ni de ton âge. Ton sourire et ton regard ont suffi à te graver dans ma mémoire pour qu’aujourd’hui je t’étale par écrit sur une page blanche de mon logiciel Word. Tu as naturellement engagé la conversation au départ d’Algesiras. Tu étais apparemment seul, j’étais pour ma part accompagnée de ma mère et mes frères. Je t’ai toisé, fière, pour ne pas dévoiler mon manque d’assurance. C’était sans compter sur ta détermination. Tu t’es aperçu que j’avais rougi et tu as pris cela pour un trouble, un émoi d’amourette. Tu n’as pas compris que le rose qui s’est dessiné sur mes joues n’était autre que cette timidité paralysante qui s’empare de moi à chaque fois que je ne contrôle pas une situation.

Installés dans une salle bondée, où nous allions passer la nuit, sur des files de sièges en plastique orange, entassés et confinés comme des sardines dans une boîte ; elles au moins étaient allongées et dépliées. Il fait chaud, j’étouffe. L’annonce d’une tempête faisait tanguer le bateau et vomir certains passagers. Je décidai de monter sur le pont. Respirer était devenu ma priorité. L’interdiction annoncée par le haut-parleur ne m’arrêta pas.

Enfin à l’air libre, et cette vague plus haute que les autres, et cette main robuste qui m’agrippa avant que je ne bascule par-dessus bord, qui me tracta sans ménagement jusqu’à l’intérieur, c’était lui, ce jeune homme dont je ne me rappelle pas le prénom. 

Nous restâmes assis à même le sol dans ce couloir sombre et étroit. Il me fixa de nouveau intensément et j’étais soulagée qu’il ne puisse pas voir la chaleur de mon corps monter à mes deux joues, les faisant certainement rosir. Je voulais le remercier pour m’avoir sauvée la vie mais aucun son ne sortit de ma bouche.  Et pourtant la communication était palpable, réelle. Ces instants ou le verbe n’est plus, ou le silence se met à parler, rajoutant une inconnue à cette relation, qui n’est rien sans cette force en action qui la traverse. 

Il se passa quelques heures dans ce temps suspendu, ou les cœurs ne sont plus que canaux ouverts, où l’énergie du ciel et de la terre circulent avec aisance, où le tangage et le roulis du bateau faisaient se toucher ou se décoller ces deux corps au gré des caprices de la tempête, où l’eau se mêlait au feu, pour une escapade sans issue.

Le calme se fit au petit matin, et je suis appelée au micro à rejoindre ma famille qui me cherchait. Après tout, les joues roses n’étaient peut-être pas dû à ma timidité, envolée le temps d’un instant volé…

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